oup's !

voilà. ça y est. j'm'ennuie. j'aime pas m'ennuyer, j'ai l'impression d'être inutile. je suis là en mode larve dans ma tente et je lis la même ligne des fleurs du mal depuis environ cinq minutes. je soupire. faut que je sorte. dans le soleil déclinant, tout est plus beau. les couleurs orangées envahissent le ciel et les nuages, teintant le toit du monde d'un habit scintillant de mille et une lumières. par instinct, je me dirige vers la plage. le bruit des vagues mourant sur la berge m'apaise. alors je m'assois dans le sable fin. j'suis pas la seule, à être là. quelqu'un passe devant moi, je m'en rend compte trop tard pour l'aborder. je pose mes yeux sur la personne, homme ou femme? je ne sais pas, j'fais pas gaffe. je me lève puis j'hésite: je crie pour l'interpeller ou je trouve un autre truc? je choisis la deuxième solution et l'idée me vient.
je cours, cours, cours jusqu'à le/la rattraper... puis je lui saute dessus, m'accrochant désespérément à son cou. à l'attaque. salut toi ! la vie est un jeu, n'est-ce pas? alors joue.

Les écouteurs dans les oreilles, Jean Leloup te chantes Bertha sur un air rapide. Tu marches, sans vouloir t'arrêter. Tu veux découvrir, tu veux voir tous les beaux coins de Banff et y pêcher des souvenirs. Tu te sens bien, aussi rayonnante que le soleil aujourd'hui. L'eau à tes pieds te refroidie sous cette veste de jeans sans manche, capuchon sur la tête. T'es dans la lune, t'es concentré sur tes pas et tu ne penses à rien. C'est le bonheur, c'est l'euphorie dans tes oreilles, c'est Banff. Qui dit endroit nouveau, dit endroit peuplé de gens inconnu. Ce qui te laisses face à toute sorte de personnalités. Les solitaire, comme toi. Et les moins timide, comme cette personne qui te sautes sur le dos. Cette personne qui s'accroche à ton cou et qui te sors de ton monde. T'enlèves tes écouteurs et tu te mets à beugler, comme toujours. « Putain c'est qui, débarques de sur mon dos tu vas bousiller mes trucs dans mon sac ! » dis-tu en te tortillant pour la faire partir, comme un ver.

parfois, je fais des choses qui n'ont ni queue ni tête. si t'es timide et que t'aimes pas rire et te faire remarquer, t'auras honte avec moi, c'est comme ça. c'est triste, ceux qui veulent se fondre dans la masse. métro, boulot dodo. ça sert à quoi? c'est pas une vie. c'est un peu pour ça que je suis sur le dos de quelqu'un qui m'est totalement inconnu. j'aperçois quelques mèches de cheveux. c'est une fille. elle a pas l'air de bien le prendre, la pauvre. en même temps, moi si on me faisait ça, j'sais pas trop comment je réagirai. elle se tortille pour me faire tomber sous prétexte qu'il y a des trucs fragiles dans son sac. pfff, j'suis déçue. je finis par retrouver le sol, droite sur mes deux jambes. dommage, t'étais trop confortable ! bah quoi, c'est vrai. y'a quoi de fragile dans ton sac? question indiscrète, mais j'ai failli le lui prendre pour l'ouvrir et vérifier moi même si j'avais pas pété un truc. j'ai pris la solution : douceur.

tu pries pour ces choses mystérieuses dans ton sac, tu pries pour qu'il ne soit pas en miette. Enfin, cette personnalité différente à lequel tu te comparais tout à l'heure a un visage, un joli visage ouais. et elle a libéré ton dos, ainsi que ton trésor. tu ne l'avais évidemment pas encore croisé, pas même au terrain de tentes. tu souris malgré toi à ses paroles, t'es de mauvaise humeur mais tu te forces pour arriver à te faire de nouveaux potes ici. tu déposes tranquillement ton sac par terre et tu te penches pour vérifier l'intérieur. y'a du linge de rechange, ton maquillage, une brosse à dent, et des sacs remplis de drogue. pas n'importe laquelle, celle qui se fume. celle qui est verte et qui te rend philosophe. le visage relevé sur cette nouvelle inconnue, tu lui montres un joint pour répondre à sa question. « y'a ça dans mon sac, ça te dis ? » lui demandes-tu, l'invitant à fumer avec toi.

elle est jolie. j'm'attendais à ce qu'elle se mette à me hurler dessus après mon interpellation bizarre, mais non. elle a l'air sympa. elle vérifie ce qu'il y a dans son sac. je jette un coup d’œil vite fait, discretos. y'a rien de fragile, j'aurai pu rester là-haut, c'est de l'arnaque. mais j'dis rien, j'pense l'avoir déjà assez embêtée pour aujourd'hui. dans son sac, y'a un truc que je remarque direct. elle a de l'herbe. ça fait longtemps, tiens. enfin, pas si longtemps que ça, mais bon. j'fais tout pour espacer les moments où j'en prends parce que j'veux pas être accro mais là... c'est si gentiment demandé que je cède. ouais ! merci, c'est gentil. je souris, puis je m'assois dans le sable à nouveau. j'sais pas si elle veut la fumer là, si non, je me relèverai. le sable, c'est confortable. presque autant que son dos !

l'herbe, ça pousse dans la terre. l'or, ça pousse dans les mines. des gens se font la tête pour l'or, se font trop de soucis pour l'or. tu te fiches de l'or, tu n'iras jamais dans les mines en chercher. comme t'iras jamais en chercher dans les banques. mais l'herbe, pour toi c'est comme une fleur sans eau, la terre sèche et la fleur crève. t'es prête à aller partout pour aller en chercher, t'es prête à gagner de l'or pour en acheter, c'est tout ce qui t'importe avec l'or. t'as pas peur de te dire accroc, t'as pas peur de militer pour cette plante. parce qu'au fond, tu sais que c'est dans la tête que ça se passe. ta tête, elle est numéro 1, ta tête d’intelligente. tu t'assois toi aussi, avec elle. cette belle inconnue, tu devrais fumer là. « c'est ce que j'aime de Banff, t'as pas à te cacher pour te défoncer ! » dis-tu après avoir tiré deux coups sur le joint. tu partages avec elle, c'est de bon moments à se souvenir ça.

je regarde la mer. c'est beau, c'est en partie pour ça que j'suis venue à banff. ça sent la liberté, la joie, la bonne humeur. tout ce qu'on n'a pas ailleurs, c'est ici qu'on le trouve. elle s'assoit près de moi et j'me dis que tant mieux, de toute façon, j'ai plus la force de me lever. quand elle parle, j'me dis qu'en fait, ici c'est encore plus libre que je le pensais. et je trouve ça cool. elle me fait passer le joint, je tire plusieurs fois dessus. entre deux nuages de fumée je lui demande ça fait longtemps que t'es là? tu fais quoi ici?. j'aime l'odeur et la fumée épaisse qui flottent autour de moi. ça me fait penser à un rêve. à mon tour, je lui fais passer le joint.

la fumée se disperse dans tes poumons tranquillement sans que t'en sois consciente, et puis ce seras ta vue qui commenceras à être affecté. eh ouais, tu commences déjà à ressentir tes yeux se fermer un tout petit peu, devenir lourd, devenir rouge. tu te sens tellement mieux maintenant, ici, avec cette nouvelle partenaire de fumette, l'eau, le beau temps. d'un geste prudent, tu lui reprend le joint d'entre les doigts pour le porter à tes lèvres. t'expires, tranquillement mais longuement puis tu prend une bonne grosse respiration d'air. tu commences à expirer tout en lui répondant. « j'ai débarqué hier au terrain de tentes, pas trop loin d'ici ! ça fais 24 heures exactement que j'ai arrêté mon voyage. » tu prends une pause et t'en profite pour refumer et lui passer le joint. « j'me suis tapé le chemin depuis le Québec... j'suis en exile d'puis un mois et demi environ ! » tu souris. « et toi ? T'es du coin ? » finis-tu par dire en la détaillant du regard, en mode observatrice et défoncé.

en fait, j'ai bien fait d'être venue ici. débarquer seule à banff, c'était comme me lancer dans le vide. j'ai jamais su voler de mes propres ailes, et là, j'ai l'impression que je réussis enfin à voler calmement, sereinement. enfin ouais, c'est surtout l'effet du joint qui me fait me sentir comme ça mais j'le pense vraiment. le sol est loin et j'me sens bien. moi aussi j'y suis ! et je l'ai pas vue. en même temps, y'a des centaines de personnes là-bas, en quelques jours, j'ai pas croisé grand monde. elle vient du Québec, j'me souviens de mes vacances là-bas étant gosse. non je suis pas d'ici, dernièrement j'habitais à Los Angeles... mais j'en ai eu marre alors j'ai décidé de bouger ! voilà pourquoi je suis là. je prends le joint entre mes doigts pour en tirer une longue bouffée. j'ai vraiment l'impression que je vais m'envoler.