T’ouvres les yeux. Tout est flou. Tu distingues des silhouettes, bouger, tout autour de toi. Certaines s’agitent frénétiquement. D’autres se déplacent à lente allure. Elles sont là pour toi. Elles vont te bouffer. Elles n’attendent qu’un ordre. Oui, c’est la mort. Tu ne vois rien mais tu le sens. Tu la sens. Elle est là pour toi. Ça y est. Ton heure est venue. Tu te frottes les yeux, espérant y voir plus clair. Faudrait pas la rater quand même, a-t-elle vraiment une faux ? Il serait plus courageux de regarder celle qui va te prendre. Autant perdre ta vie avec conscience, non ? ...

La vue retrouvée, tu comprends que t’es simplement dans une boite, à moitié allongé sur la banquette. Y a des gens partout, ils dansent et en ont rien à faire de toi. Fausse alerte. Tu remarques que t’as un bouton de chemise qu’a disparu et t’as affreusement mal à la mâchoire. Tu portes la main à ta bouche : du sang. Un peu sonné, avec la musique assourdissante, et l’alcool qui t’embrouille l’esprit, t’as du mal à te concentrer pour te souvenir de ce qui t’es arrivé.

Est-ce que tu t’es battu dignement avec quelqu’un ou est-ce que tu t’es juste fait pitoyablement cogné, là, devant tout le monde ? Tu examines tes mains à la recherche d'indices. Bon, pas d’égratignures, t’as pas fracassé de verres sur une tête, t'as pas de traces de sang d'un autre non plus. Plutôt bon signe.

Tu regardes autour de toi, peut-être que quelqu’un a vu la scène, peut-être que la personne qui t’a fait cette blessure à la lèvre est encore là, peut-être qu’elle se moque de toi. Mais personne ne te regarde, personne n’était là pour te réveiller, t’aurais juste pu mourir, là lamentablement sur cette banquette, personne n’aurait tilté.

Tu remarques une jolie fille à côté de toi qui a l’air d’attendre quelqu’un ou quelque chose. T’essaie d’attraper son regard, puis tu t’arrêtes, t’hésites. Ta bouche saigne, t’as la chemise à moitié ouverte et tu te souviens plus de tes dernières heures. Qu’en pensera-t-elle ?

Tu te redresses, t’essuies la lèvre inférieure et te rhabille un peu. Tu jettes un coup d’œil vers la jeune femme et allez, lance-toi, c'est comme une enquête, peut-être qu'elle sait quelque chose, elle.

Tu t’approches de son oreille, histoire de ne pas avoir à gueuler pour se faire entendre avec le brouhaha et la musique : « Ça fait longtemps que vous êtes là ? » Quel nul. Elle te rira au nez : « oui et je vous ai vu vous casser la gueule, c’était trop drôle !» ou tu recevras une tarte monumentale suivi de « oui t’as essayé de me peloter. Et c’est moi qui t’ai ouvert la lèvre, sale pervers. ». Tu fais pitié, lève-toi et pars.