tu revenais d'un long périple, c'était beau mais c'était éprouvant. tu t'étais enfuit de banff sans rien dire à personne, sans prévenir le peu de personnes que t'avais rencontré et auxquelles tu t'étais attaché. d'ordinaire, tu ne reviens jamais sur tes pas mais banff t'avais marqué et t'avais envie d'y revenir alors tu l'as fait. maintenant t'es de retour. tu commences ta journée par aller t'acheter à manger. du poisson, t'as envie de poisson frais.

je sais pas ce que je fais. non, vraiment pas. je suis là, dans les rues de banff, mes écouteurs déversant leur flot de musique dans mes oreilles. il paraît qu'il y a une chance sur un milliard que quand on s'assoit, les atomes de notre corps se fondent avec les atomes de la chaise. je sais pas pourquoi la chose ne s'est pas produite entre mes petites oreilles et mes écouteurs. ce serait cool, y'aurait plus besoin de les enlever.
hop, une excuse de plus pour ne pas les retirer quand quelqu'un te décroche un mot dans le bus et que t'as pas envie de lui répondre.
je tourne à l'angle de chaque rue dans une direction différente, selon mon envie. selon les notes de musique aussi. j'arrive sur buffalo street. à la base, je suis sortie pour aller m'acheter un truc à manger. je risque pas d'aller loin avec mon pauvre petit billet mais j'entre quand même dans un magasin. une poissonnerie, à en juger par l'odeur. oui, parlons-en, de l'odeur. ça sent jamais la rose dans ce genre d'endroit... mais là, c'est pire. c'est l'odeur de base puissance mille. si bien que j'en arrive à stopper le concert enregistré sur mon portable, histoire de voir si l'odeur n'avait pas un lien avec le son. non. alors, j'enlève carrément mes écouteurs. l'aération, ça existe pas ici?! un mélange de poisson pourri, et d'une odeur encore plus abjecte empli la pièce. ça me donne envie de vomir. comment vous faites pour vendre? j'ai jamais fait d'études de commerce mais je pense pas que laisser vos pauvres poissons moisir ici vous rapporte du fric ! non? ça, vraiment, ça me révolte. mais quand même, pour être sûre, je préfère interroger les gens autour de moi. et puis même s'ils font comme si j'existais pas, je continuerai de le penser. faut arrêter de prendre les gens pour des cons.

une fille pénètre dans le magasin, écouteurs aux oreilles. puis c'est la folie, elle s'emballe, jacte dans tous les sens. toi tu la regardes, les yeux un peu écarquillés. wahou, ça faisait un moment que t'avais pas eu une relations aussi "brutale" avec quelqu'un. c'est vrai que ton voyage express dans la nature canadienne t'avais littéralement coupé du monde. c'est vrai que ça puait quand même. mais toi, t'avais tellement pué des fois durant ton voyage, que tu n'savais limite plus quand est-ce qu'un poisson puait le moisi.
- je pense qu'il y a quelques soucis avec l'aération.
tu le regardes, tu regardes le local. en fait t'as pas fait gaffe mais il a l'air super malsain. tu fronces un peu les sourcils et recule vers la sortie.
- et l'hygène.
t'ouvres la porte et inspire un grand bol d'air pur. tu penses à te tirer de la poissonnerie. tant pis pour le poisson frais dont tu rêvais mais là, t'es sûr quasiment de choper une maladie inconnue au bataillon avec ce poisson-là.

personne ne semble réagir. personne mis à part quelqu'un. un gars, plus précisément. son visage, ses traits me disent vaguement quelque chose, mais je ne sais plus où je l'ai rencontré. je me creuse la tête, mais je ne trouve pas. oh et puis on s'en fou. l'odeur me monte au nez, et j'ai bien l'impression que mon estomac va laisser partir tout ce qu'il contient depuis ce matin, c'est-à-dire, pas grand chose. mais quand même, j'tiens pas à dégobiller et à dégueulasser tout le plancher. hé oui, j'suis sensible aux fortes odeurs, que voulez-vous.
le gars ouvre la porte. c'est l'occasion pour moi aussi de partir, je tiens pas à rester là plus longtemps. les autres clients devraient faire de même. je le suis, puis le pousse un peu pour sortir.
je me retrouve dans la rue et l'air sain empli à nouveau mes poumons. je peux enfin respirer. pardon. je me rends compte que je l'ai un peu bousculé pour sortir. je voulais pas. on a peut-être évité une sale maladie. qui sait les cochonneries que pouvaient abriter ces poissons morts.

elle te bouscule pour sortir, tu manques de te prendre les pieds dans l'entrée et de te rétamer comme une merde. tu te rattrapes vite fait et fait comme si de rien n'y était. tu la regardes, elle te dit quelque chose en fait. ça fait tellement de bien de respirer l'air pur, l'air de la nature. t'aimes tellement la nature, celle qui t'as donné la vie, celle qui est toujours là, coûte que coûte. tu fermes les yeux pendant quelques instants.
- pas de problèmes.
tu souris doucement à ce qu'elle dit par la suite parce que c'est exactement ce que tu pensais. tu l'observes, elle a l'air volage, sauvage. t'aimes ça les gens sauvages, tu les trouves beaux, tu les vénères.
- je ne préfère même pas y penser. je m'appelle dino.
tu balances ça comme ça, comme on balance des chaussettes à laver ou des pâtes dans l'eau. tu sors ça normalement, c'est un art chez toi de changer de sujet.

oh, ça ne l'embête pas. tant mieux alors. je lui souris. il a l'air ailleurs, l'esprit perdu quelque part à des centaines de kilomètres d'ici. il a l'air heureux aussi. heureux avec peu, c'est bien les gens comme ça, je les ai toujours envié. moi c'est diane. diane tout court. diane tout simple. diane commune.
dino, ça me fait penser au chat dans alice au pays des merveilles. même s'il s'appelle dina, dino, ce serait un peu comme le masculin de dina. c'est mignon. t'aimes quoi dans la vie, à part le poisson? question existentielle, attention. faut pas se planter.

diane, diane, diane. ça résonne dans ta tête. c'est le nom de ta mère. bizarrement t'as un petit pincement au cœur mais bon, c'toi qui a décidé de partir ducon, c'toi le méchant dans l'histoire.
- j'aime les tigres, les arbres, le printemps, le vent, l'eau, le feu, les gens. j'aime beaucoup de choses mais peu à la fois. et toi diane ? qu'est-ce que tu aimes ?
ton petit voyage t'as changé, faut l'avouer. tu te sens plus libre, plus heureux qu'avant. même si au fond t'es toujours un peu mort.

il me balance toute une série de noms à la figure. j'ai du mal à tout retenir, mais je crois que c'est bon. les tigres?! t'en a déjà vu en vrai? j'aimerai voir des tas d'animaux sauvages. si il en a déjà vu, il a de la chance. c'est comme un rêve. moi j'aime manger, courir sous la pluie, me baigner la nuit, la musique et puis le rire des gens aussi. c'est important. bon, à côté de lui, ça fait tout de suite moins bien. mais c'est la vérité.

tu l'écoutes attentivement, tu clignes doucement des yeux. les tigres, c'est limite toute ta vie. ça te fascine tellement ces bêtes-là.
- oui, une fois. j'aime tellement les tigres.
t'as des étoiles dans les yeux. t'es fou. tu écoutes ce qu'elle aime, tu souris doucement. le rire des gens, tu trouves ça tellement beau. c'est vraiment que c'est important. un vrai rire, qu'est-ce qu'il y a de mieux ?
- rire, rire, rire. j'aimerais mourir de rire tiens. ça serait beau. j'aimerais voir des requins un jour, tu aimerais voir des requins diane ?
t'as l'air d'un gamin. ton voyage t'as transformé en fait, il t'a émerveillé.

c'était comment? j'aimerai bien être dans sa tête à ce moment-là, pour voir ses souvenirs. moi je pense que si je voyais un tigre, j'aurai peur. peur comme une petite fille, et j'irai me cacher en haut d'un arbre jusqu'à la fin de temps.
il a raison, moi aussi j'aimerai mourir de rire. pleins de gens le disent, "mort de rire", mais est-ce qu'on peut vraiment en mourir? ça doit être une jolie mort. mais ça doit faire mal au ventre quand même. oui dino, j'aimerai voir des requins ! faire de la plongée sous-marine, et en voir un ou deux. ou même pleins. voilà, ce serait merveilleux. mais je ne pense pas que ce genre de chose existe. ça ne doit pas être autorisé. on doit penser qu'ils peuvent nous manger... le truc, c'est que c'est que de nous deux, ce sont nous les plus dangereux.

la jungle, c'était magique. t'y retournerais sans hésiter. demain, tout de suite. tout seul, avec elle. vous iriez voir les tigres. tu la protégerais si elle aurait peur.
- je trouve pas les mots. si ça serait à refaire, je le referais sans hésiter.
oh. tu souris. t'es content qu'elle t'ai dit oui. les requins, ça aussi ça te fascine. quand c'est dangereux, ça te fascine en fait. quand tu sais que s'ils le veulent, tu peux mourir. la mort. les gens trouvent ça triste, toi tu trouves ça limite beau. il te tarde pas de mourir mais si tu devais mourir demain, tu regretterais rien. t'es un peu nihiliste dans l'âme. un peu beaucoup.
- des milliers. nager avec eux, les effleurer. ça serait merveilleux. as-tu déjà voyagé diane ?
t'es curieux de savoir, de la connaitre. elle te fait te poser plein de questions, elle te fascine.

il a de la chance. beaucoup de chance. je l'envie. j'imagine ! même si je suppose que tant qu'on ne l'a pas vécu, on ne peut pas vraiment comprendre. et c'est dommage
ce serait tellement beau. et oui ! je suis allée un peu partout, mais j'ai jamais vu de tigres et de requins. j'ai un peu loupé le plus important, en fait. mes parents étaient blindés de fric, alors j'ai pu aller où je voulais, quand je voulais. on sait bien que l'argent achète un peu tout sur cette terre. c'est triste, mais ça m'a quand même bien servie. et toi dino?

oh. c'est beau qu'elle est voyagé, comme toi. même si elle n'a pas vu les animaux que tu as vu. toi t'en as vu parce que tu es fou, que tu vas partout, que t'as pas peur de la mort. t'as même failli mourir une fois, c'est ouf.
- tu es allé où diane ?
t'es encore plus curieux d'en savoir plus sur elle en fait.
- moi, je crois que je suis allé partout sur terre. je suis même venu ici une fois puis je suis parti, comme un voleur. mais je sais pas, j'suis revenue y'a quelques jours.

je repense à tous les pas que j'ai fait dans des pays étrangers au mien. c'était beau. c'était parfait. j'aimerai voyager toute ma vie. à deux, c'est mieux. un jour, j'espère que dino m'emmènera voir les lions. j'ai visité toute l'Afrique, puis une grande partie de l'Europe, aussi quelques pays d'Asie et l'Amérique du Sud. bon, j'ai pas tout vu non plus. j'ai pas fait tous les pays du monde. mais l'Afrique, c'était magique. mais c'est bizarre, j'ai jamais vu d'animaux sauvages alors que l'Afrique est leur royaume. je les ai vu, mais de loin. ça compte pas. en fait, j'étais plutôt dans les tribus. j'imagine qu'ils essayent de se tenir à l'écart de ces menaces. puis il me dit qu'il est déjà venu ici, avant. comme un voleur? je le vois bien voleur. mais un gentil voleur. un voleur volage et sauvage. comme un oiseau. ah oui? tu es allé où toi? ça m’intéresse. il pourra sûrement m'apprendre pleins de choses.