Stylo, papier, café.

Simplement assise, occupée à noircir une page d'un petit carnet, une tasse à l'odeur forte devant moi, voilà le début de ma matinée. On pourrait presque se croire dans un film, tellement l'image fait cliché. Je n'écris pas un livre mais cela se pourrait. Mes doigts sont crispés sur le stylo, le papier se froisse, la table est bancale et le café fumant proche de la chute. J'écris frénétiquement, trop préoccupée à mettre des mots sur ce qui se passe dans ma tête. Si le liquide noir s'étend sur la table la journée sera mauvaise, s'il reste à sa place il s'agira alors d'une journée comme une autre.

J'ai mes habitudes de pépé au Evelyn's Coffee Bar. Mais aujourd'hui est un jour nouveau. Et mes pas changent de direction. Ils m'emmènent au Welch's Chocolate Shop. Je n'y résiste pas. Mon sac à dos tape lourdement sur mes reins : mon ordinateur s'agite, il s'inquiète de cet itinéraire qu'il ne connaît pas. Mais il se calme quand j'entre dans le café. Il n'y a plus qu'une forte odeur de marc et de chocolat, de viennoiseries aussi. Les relents d'alcool ont disparu : mon pc semble apprécier.
Je m'avance pour trouver une table et me sent trébucher. Vous savez, ces filles qui croisent leur jambe partout. Ces jambes trop basses pour être vues mais qui vous font perdre l'équilibre. Je me rattrape à une table mais renverse le café. Ma main est noire, la table est vierge, la tasse brisée devant mes pieds. Merde.

Sourcils froncés, dents enfoncées dans la lèvre inférieure, les mots s'enchaînent mais ne prennent pas pour autant de sens. Tout ce que je sais c'est ce que ça me fait du bien. Rayer des lettres à en trouer la page, trouver des synonymes qui pourraient décrire un peu mieux ce sentiment qui dévore tout sur son passage, relire les premiers écrits en espérant avoir évoluée depuis ce temps là. Il s'agit d'une des seules habitudes que j'ai gardé depuis que j'ai entrepris ce nouveau chapitre de ma vie. Ma main s'immobilise, mes yeux relisent la ligne. Le stylo est en attente, la table se stabilise et le café ne tente plus de s'échapper. Quelque chose percute mes jambes, je ne comprends pas tout de suite ce qui se passe. J'ai juste le temps de voir une main apparaitre sur la table et envoyer valser ma tasse. Dans un geste un peu confus, je relève mon carnet et regarde les dégâts. Du verre sur le sol, mes pensées intactes et le précieux liquide noir sur un inconnu. Tenez, ça devrait faire l'affaire. Un paquet de mouchoir tendu et l'éternel sourire de façade sur mon visage. Mauvaise journée qui s'annonce.

Dans la confusion, je n'ai pas senti la brûlure du café sur ma main. Je fais attention à ne pas marcher sur le verre, mais déjà un serveur vient à ma rescousse, pelle en main. La jeune fille qui a causé ma chute me tend aussitôt un paquet de mouchoirs. J'ouvre, m'essuie la main, esquisse une grimace. Je me suis brûlé ; mes doigts sont rouges et me piquent. Je force un sourire qui traverse le domaine de la douleur avant d'atteindre ma bouche. Je vais te repayer un café, annoncé-je même si ce n'est pas vraiment de ma faute. Le serveur balaie les derniers bris de verre et je me tente enfin à avancer. Avant qu'il ne parte, je lui demande deux cafés et il acquiesce sans rien dire.

Les débris sont vite ramassés, le liquide essuyé et l'inconnu toujours près de moi. A la légère grimace qu'il fait et son sourire un peu crispé, je devine qu'il s'est brûlé. Le serveur repart commande en tête, homme charmant qui m'offre le café. Il me tutoie, pourquoi pas. Je range rapidement mes jambes et l'une vient se poser sur la chaise, ramenant mon genoux contre mon buste. Cela ne se fait pas mais je me sens mieux ainsi, quand je ne suis pas seule. Un réflexe stupide de plus. Merci c'est gentil. Un geste ridicule de la tête pour lui dire que la place est libre. Mes doigts retrouvent le stylo et s'amusent avec. Je lui lance un regard qui se veut un peu bienveillant et mes yeux observe sa main. Tu devrais passer un peu d'eau froide. Simple conseil, après il fait comme il souhaite ce n'est pas mon soucis.

Elle m'invite à m'asseoir à côté d'elle. La place est libre. Je n'avais pas prévu ça en venant dans ce nouveau café. Tout comme je n'avais pas prévu de me brûler et de manquer de me rétamer. J'ôte mon sac-à-dos et m'installe. Elle me conseille de passer ma main ébouillantée sous l'eau froide. Elle n'a pas tort. Je demanderai un glaçon au serveur. Je me débrouille pour fouiller dans mon sac avec ma main valide et sort mon porte-feuille. Ta feuille n'a rien ? Je demande en repensant au papier que j'ai vu sur la table en tombant.

Il s'installe, retire son sac-à-dos et acquiesce à mon conseil. Il cherche de quoi payer et je le vois en difficulté avec sa main. Chacun de nous, devait s'attendre à une matinée paisible, devant une tasse de café et avec pour seul bruit l'ambiance du bar. Autant dire que pour la tranquillité et la solitude, c'était loupé. Inconnu avenant, il me demande si mes écrits ont échappé au carnage. Un sourire amusé glisse sur mes lèvres. Indemne, heureusement sinon tu serais sortit d'ici avec plus qu'un main en moins. Tu n'es pas méchante Gin, pas du tout. Il y a seulement des choses auxquelles tu tiens beaucoup trop. Deux en fait et ce carnet en fait partit. Quelle stupidité de s'attacher autant à des objets aussi insignifiant. L'attachement ça devrait être réservé aux personnes. Tant pis. Le serveur arrive, deux cafés sur un plateau. Je prends les devant parce que je m'en veux un peu. Merci, pourrions-nous avoir une serviette avec quelques glaçons pour sa main ? Il acquiesce, pas bavard et sûrement agacé. Mon rituel du matin recommence: j'approche la tasse de mon visage et me contente de humer cette odeur que j'aime tant.

Elle a un humour violent. Sur l'instant, je ne sais pas si je dois en sourire ou non. Mais malgré tout, un rictus s'installe entre mes lèvres. Ah ouais, j'ai eu de la chance alors. Mon ton est moins enjoué que ce qu'il aurait fallu, mais c'est trop tard. J'espère qu'elle n'en tiendra pas rigueur. Le serveur arrive et c'est elle qui lui demande les glaçons pour ma main. Il s'en va en opinant du chef. Merci. Elle récupère sa tasse et hume le café. Tout cela sonne comme un rituel, je m'intéresse : Tu viens souvent ici, non ?

L'humour ça n'a jamais été mon truc. Enfin ça l'a été, mais ce n'est plus le cas. J'ai essayé, ca n'a qu'à moitié fonctionné. Tant pis. Finalement l'odeur du café prend possession de mes sens. Je savoure, ça m'éveille. Un léger sentiment rassurant qui né. Ridicule, je sais. J'en ai juste besoin. Aussi simple que ça. Des petits rituels rassurants mis en place pour me protéger. Je me sens bien et l'inconnu m'interroge. Pas vraiment, je suis ici de puis peu. Pourquoi ? Je repose la tasse délicatement pour lui laisser le temps de se refroidir un peu. Le stylo retrouve sa place au fin fond de mon sac et mes doigts trouvent un nouveau jouet en la cuillère. T'as pas vraiment l'air d'un habitué toi non plus. A vrai dire je n'en sais rien, c'est juste le fait qu'il ai failli tomber qui me fait penser ça.

Elle n'est pas là depuis longtemps. Ce n'est pas très précis. Un mois, une semaine, un jour ? Je pense que je ne saurai vraiment jamais. Sauf si je lui demande, bien sûr. Je sais pas, on dirait que t'as ton rituel café. Je réalise que cette observation n'indique nullement qu'elle pourrait être là depuis longtemps. Je ne suis pas très bon en sherlockisme. Elle a l'air meilleure que moi dans ce domaine. Je vais d'ordinaire au Evelyn's Coffee mais aujourd'hui, j'avais envie de changer. Le serveur revient avec un café et les glaçons dans une serviette. J'applique directement sur ma main.

Si même inconnu devine que je fais ça à chaque tasse de café que je bois, je dois avoir vraiment paraître étrange. Tant pis, qu'est ce que ça peut me faire après tout ? Il va me prendre pour une folle à coup sûre, voilà tout. Oh... Oui on peut dire ça, je trouve juste l'odeur réconfortante. Je ne crois pas être déjà entrée là-bas. Peut-être suis-je passée devant. Sûrement. En même temps, je passe mes journées à me promener, cependant je n'ai pas l'impression de retenir les lieux. Un peu comme si j'étais là sans l'être. Gin, ca ne va pas mieux. Enfin, le moment tant attendu arrive et je me saisis de la tasse pour boire une première gorgée. La chaleur se propage dans ma bouche et dans mon corps. Le liquide est fort et pourtant j'ai une sensation de douceur qui s'empare de moi. De pire en pire. Mon regard se fixe sur l'inconnu. Il ne dérange pas tant que ça ma matinée. Et qu'est ce que vous y faite à part boire votre café ? On a tous des petits rituels matinaux, même minimes. Je ne suis pas seule comme j'aimerai mais notre semblant de discussion est calme et posée alors j'apprécie.

La brune me raconte qu'elle aime simplement l'odeur du café. Je la comprends à peu près. Moi j'aime bien l'odeur forte et noire du café le matin. Ça vaut une douche glacée avant le début de la journée. Malheureusement, mes cafés sont immondes. J'ai arrêté d'essayer de m'en faire. Mais c'est à cause de mon impatience, ma première tentative date de mon arrivée à Banff. Moi ? dis-je en grimaçant à cause de la brûlure, et bien, je vais travailler le matin à 6h donc je me lève et je pars. Et après ma journée, je file boire un café et écrire un peu. Rien de bien fou, mais tout de même, ça me change de ma routine d'avant. D'avant Banff. D'avant quand je ne travaillais pas.

Je l'écoute attentivement. Cet endroit me plait, il y a quelque chose chaleureux qui me fait du bien. Il grimace encore une fois. Il n'a pas fait les choses à moitié. Je suis désolée pour votre main. Ainsi il travaille. Je devrais commencer à chercher du boulot, il faudra bien. Mais pour faire quoi ? La seule chose que je connaisse c'est la montagne et je ne peux plus faire ça. Je pourrais sûrement travailler dans un magasin d'équipement ou quelque chose dans ce domaine là. A réfléchir. S'ils embauchent là où vous travaillez, dites le moi. Je me rends-compte que je me suis remise à le vouvoyer, mon esprit est probablement encore embrumé. Vous, euh tu écris quoi ? Si ce n'est pas trop indiscret. Il est peut-être écrivain à ses heures perdues, journaliste ou alors lui et moi faisons la même chose. Ecrire pour se libérer d'un poids et prendre du recul. Un soulagement qui ne dure pas longtemps.

Elle s'excuse à nouveau, je hausse les épaules. Elle n'y est pour rien, sa jambe sauvage, je ne lui en veux pas. Et puis elle me demande si le fermier embauche. Il embauche un peu toute l'année en fait. C'est une vieille fripouille superstitieuse mais bon. Je réalise que je parle plus ou moins dans le vent, qu'elle ne sait pas ce que je fais de mes journées, qu'elle ne comprendra pas. Je suis à la ferme, je fais les cueillettes. Généralement, les gens se servent plus ou moins eux-même mais on doit aussi faire les cagettes pour les restos, les tout ça... Je n'y travaille pas depuis longtemps mais j'ai vu tant de têtes différentes passer. Les gens ici vont, viennent, trouvent du travail, disparaissent ailleurs. Ils restent une semaine, un mois, et pouf.
Elle hésite sur le vouvoiement ou le tutoiement, je ne l'aide pas. Je... j'écris ou plutôt, j'essaie d'écrire un scénario pour un film.

» couleur café
» Une moto, un café, un freedent.

Stylo, papier, café.

Stylo, papier, café.

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