Il devait être dix heures du matin, et j'avais choisi de quitter ma chambre pour parcourir les rues de Banff, sac de sport sur l'épaule et jogging enfilé. Oui, je comptais bel et bien m'exercer un peu, puisque je n'avais pu que courir sur la plage dernièrement. Et clairement, j'avais la drôle impression de me relâcher de ce côté là, alors il fallait que je me reprenne en main. Il faut dire qu'il y avait tellement de choses à faire par ici que j'en avais presque oublié ma routine quotidienne. Entrant dans la salle de sport, j'étais donc dans un premier temps passé aux vestiaires, histoire de me changer, avant de rejoindre la salle, m'installant sur l'un des tapis de course.

j'étais quelqu'un de naturellement angoissée. or, lorsque j'étais stressée au point de ne plus pouvoir fonctionner correctement - ce qui, malheureusement pour moi, arrivait bien trop souvent - seulement deux solutions s'offraient à moi pour me calmer : me manger dix épisodes à la suite d'une de mes séries préférées, ou faire du sport jusqu'à ce que je sois trop épuisée pour réfléchir. le premier ayant trop tendance à me faire culpabiliser parce que tout sauf productif, je m'étais décidée aujourd'hui pour le second. la nuit étant loin d'être tombée, je n'avais aucune envie d'aller courir - chez moi, c'est footing nocturne ou rien - et avais opté pour le club de gym. je ne pouvais m'empêcher de me sentir nerveuse : je n'avais jamais mis les pieds dans un club de gym avant (quand je vous parle de stress). mais en pénétrant à l'intérieur, je me rendais vite compte que mon inquiétude n'avait pas lieu d'être. le gym de Banff était accueillant, et très vite, je m'y sentais à l'aise. je m'installais sur un vélo, à côté de plusieurs tapis de course occupés. pendant une vingtaine de minutes, tout se déroula parfaitement. mais, alors que j'approchais des 25 minutes de vélo, l'écran s'éteint brusquement. j'essayai de le rallumer, en vain. il ne me fallu pas longtemps pour commencer à paniquer intérieurement. j'étais pale alors que je descendais de mon vélo. je regardais partout autour, tentant de comprendre ce que j'avais fais de mal. je sentais une boule se former dans ma gorge, et je m'arrêtais de chercher le problème pour fermer les yeux, prenant de grandes inspirations. il fallait que je me calme. impérativement.

Ça devait bien faire une dizaine de minutes que je courrais maintenant sur mon petit tapis de course. D'habitude, j'en faisais au moins une bonne demie heure après de passer à autre chose. Je n'étais pas un grand sportif, mais j'aimais courir, oui, c'était clairement une de mes activités favorites. Et puis bien évidemment, aller dans une salle de sport ne me dérangeait pas. De toute façon, aux vues de ma carrure, il était évident que je faisais un minimum d'exercice. Mais oui, je crois que je préférais faire du sport seul, plutôt que de pratiquer tout ce qui se jouait en équipe. Pourtant, j'aimais bien être avec des gens en règle générale, mais je les trouvais toujours bien trop violent avec les autres, et même avec eux mêmes lorsqu'il s'agissait d'une compétition. Moi, je n'avais pas franchement un esprit compétitif, et puis, je crois que j'aimais bien perdre. Parce qu'au moins, ça voulait dire que quelqu'un d'autre était heureux de gagner. Oui, je n'avais jamais réellement senti le besoin d'être proclamé vainqueur dans une catégorie particulière, alors autant laisser ça à quelqu'un que ça intéressait réellement. Continuant de courir, j'observais alors distraitement une fille quitter son vélo de course. Elle me semblait drôlement pâle, d'ailleurs, elle s'était arrêtée de bouger une poignée de secondes, fermant les yeux. « Excuse-moi, mais... tu es sûre que tout va bien ? Tu devrais probablement t'asseoir. » repris-je en arrêtant ma machine pour finalement me positionner face à elle, une bouteille d'eau en mains.

je sursautai, reculant brusquement, manquant de tomber en trébuchant sur le pied du vélo. je me rattrapai de justesse, rouge comme une tomate. il fallait que j'arrête de me faire surprendre comme ça par des voix d'inconnus me demandant comment j'allais, et inquiets à l'idée de me voir tourner de l’œil à tout moment. ça devenait humiliant, à la fin. il fallait vraiment que je prenne les choses en main, et que j'arrête de me comporter comme une gamine. je n'étais pas faible, j'étais forte. du moins, je pouvais l'être. il était temps que je grandisse, et que j'arrête de laisser la vie m'écraser comme ça, bon sang. « je vais très bien ! désolée, je ne voulais pas vous inquiéter. j’étais juste en train d’essayer de ne pas paniquer parce que, hum… » je me tortillais à droite à gauche, incapable de croiser le regard du jeune homme dont je pouvais sentir le regard posé sur moi. parfois, j’en avais vraiment marre d’être moi. d’être cette jeune fille maladivement timide, incapable de s’imposer, de s’exprimer. « je… je crois que j’ai cassé la machine ? je… je n’ai pas fait exprès ! » j’ajoutai, la panique sensible dans ma voix. « mais l’écran du vélo s’est éteint soudainement et c’est la première fois que j’utilise une machine comme ça et… » je laissais ma voix s’éteindre. si l’univers voulait ouvrir un trou et m’avaler tout cru, c’était le moment. vraiment.

C'était étrange, je n'avais jamais paniqué dans une salle de sport, du moins pas comme la jeune femme venait de le faire, alors forcément, j'avais fini par m'inquiéter. Je m'inquiétais tout le temps, et pour tout le monde de toute façon, c'était bien connu. « je vais très bien ! désolée, je ne voulais pas vous inquiéter. j’étais juste en train d’essayer de ne pas paniquer parce que, hum… je… je crois que j’ai cassé la machine ? je… je n’ai pas fait exprès ! » mon sourcil droit s'arque immédiatement, alors qu'elle reprend « mais l’écran du vélo s’est éteint soudainement et c’est la première fois que j’utilise une machine comme ça et… » passant une main sur ma nuque, je m'approchais alors de la machine qu'elle venait de quitter, me penchant sur l'écran principal. « En fait... je crois juste que tu l'as éteinte. » dis-je en appuyant sur le bouton pour la rallumer. Un léger sourire s'esquissa sur mes lèvres. « T'as probablement du toucher au bouton sans le vouloir ! Y'a vraiment pas de quoi t'inquiéter. »

j'avais honte, extrêmement honte, bien sûr, de l'avoir dérangé, d'avoir paniqué, d'avoir été aussi stupide. la machine était juste "éteinte", et bien entendu, j'avais commencé à angoisser, sans réfléchir, comme la pauvre abruti que j'étais. comme si j'étais incapable de connecter mes deux neurones, et d'utiliser mon cerveau correctement. je me prenais la tête dans les mains, honteuse au point de ne pouvoir le regarder en face. « je suis vraiment désolée », je murmurai dans un souffle. je relevais la tête, tentai tant bien que mal de lui sourire. « je suis une idiote, pardon de vous avoir dérangé. merci infiniment, en tout cas. »