L’air est vif, se déplace et se modifie autour de moi. Mon souffle est saccadé, pris de hauts et de bas à chacun de mes pas. Les larmes perlent aux coins de mes yeux. Les larmes coulent au rythme de ma descente. Descends plus bas dans mon enfer, plus bas dans mes ténèbres, plus bas dans les limbes de mes pensées. Je ne regarde plus devant moi, mon esprit étant bien loin d’ici, bien plus près mon brasier douloureux que de mon corps. Son corps me ape, me propulse à l’intérieur de mon être jusqu’à me couper le souffle. « Merde! » Je lève les yeux vers elle, elle qui comme moi doit bien se demander ce qui se passe. Pour que deux âmes perdues se rencontrent.

Les folies s'accumulent. Le ciel a des trous. Il pourrait pleuvoir, mais j'ai refusé. Il grisaille, comme si le temps était indécis. De l'autre côté de la rue, ça sent l'impossible et l'acier. Ça sent les maladresses et les déchirures invisibles. Il y a un trou, quelque part. Elles y tombent toutes deux, cœur premier.

Deux filles, un impact.

Passer mon chemin, je devrais. Je reste encore un peu. Pas longtemps, juste le temps de voir. De voir ce qui vas leur arriver. Une excentricité qui fera jamais d'histoire de papier.

ton rendez-vous t'a foutu un plan, gus. t'as la haine, t'as la rage, t'as le blues. tu veux pas t'résoudre à rentrer. ce serait admettre que t'as perdu. perdu ta matinée, perdu ta journée, perdu des heures. perdu ton souffle, cramé ton envie, bouffé l'espoir. quel espoir, gus. t'en sais trop rien. mais tu t'sens vide. vide d'espoir vide d'envie vide de vie. c'est confus, là-haut. là, là, dans ta tête, tu t'demandes
pourquoi t'es ici gus ?
tu marches, tu t'dis qu'c'est bien d'marcher. dans les films ils marchent toujours. dans les rues, dans les bois, ils s'perdent, ils soufflent, puis ils s'reconstruisent. t'as pas b'soin de t'reconstruire, toi, gus. t'as juste besoin d'marcher. souffle du vent, tu fermes les yeux. aïe, t'entends. ton regard guette, il observe, spectateur, les conflit des belles. l'électrochoc. " t'aurais pas une cigarette par hasard ? ", tu demandes à ce type. t'en as, toi,
t'en as des cigarettes.
mais là c'est différent.
là c'est différent, parce que tu veux pas fumer seul. tu veux pas être le seul acteur de cette pièce. " ça va ? " tu leur demandes, de loin. acteur, acteur ou spectateur.

Les perles s’amenuisent. Elle ne doit pas savoir. Mais elle sait. Elle sait que les perles existent, qu’elles sont là à couler de mes yeux éternels de chagrin. Ses mots te tombent dessus, comme s’ils étaient irréels dans ton petit monde bien à toi. Mais ils sont là, ils flottent dans l’air autour de toi. Tu dois les attraper. Si longtemps qu’on ne t’a pas parlé aussi gentiment. Comme si la réponse importait. « Nah, t’y es pour rien. Le passé fait couler les larmes, pas les rencontres fracassantes. » T’essaie de sourire, un petit sourire apparaît sur tes lèvres. Réconforte-la, elle s’en veut pour toi. Tu regardes alors le garçon qui a parlé. Peut-être savent-ils? Mais ta paranoïa est trop grande Zahra. Ils ne savent pas, ces garçons-là. Pourtant, tu n’as rien à leur offrir, rien comme réponse qui pourrait être suffisante à leur question. Parce que tu n’as rien, toi, rien que les autres ne veulent. Pas même des réponses..

[HRP Désolée pour le changement de personne, mais vous m'influencez ]

Et le type à ma droite a une question qui lui pends au nez. Il est là, comme s'il y a avait toujours été. Pas besoin de lui demander pourquoi et comment, c'est comme ça et c'est tout. Je voudrais faire comme dans les vieux films en noir et blanc et sortir un cigare de la poche de mon complet, mais j'ai mis mon éternel jacket en jeans ce matin, oh, et j'ai jamais eu de complet.
- Nah, j'ai du feu mais rien à fumer, c'est l'histoire de ma vie.

Et dans un excès de sociabilité, il s'inquiète des deux blessées, trop malheureuses pour se regarder dans les yeux. Ça m'intrigue, de voir qu'avec deux petits mots, il a commencé à se coudre des amis, comme si c'était si facile, de venir en aide, d'approcher assez les gens, d'être ouvert au monde. Ce type a les bras ouverts vers le soleil, comme s'il tentait d'embrasser l'univers.

- On est en vie, on est à Banff, c'est tout ce que je sais.
Les deux étoiles sont tombées du ciel sans se tuer, personne ne m'a marché sur les pieds. C'est un de ces moments où les choses s'alignent sans avoir à forcer. Je sais aussi de quel côté j'ai laissé mon chien et ma tente, mais c'était pas la question, c'est encore hors de question.

Vos âmes se fracassent doucement les une contre les autres, portés par un drôle de hasard. Ils doivent bien rire, à vous voir là, tellement petits, tellement insignifiants. C'est presque beau. Alors de peur de briser la beauté, tu t'appliques a murmurer. Alors faut mettre le passé de côté. Oublier le passé l'espace d'une rencontre. Le genre de rencontre qui pourrait bien changer une vie. Toi Abby, t'en sais rien, de ce qui pourrait changer ta vie. Tu les trouves juste beau, ces gens. Ils ont l'air grand. Les hommes surtout. Ils dégagent à leur manière quelque chose de fort. Des mots maladroits qui poussent à la curiosité. La fille, c'est différent. Elle te semble douce, et perdue à sa manière. petit chaperon rouge, prends garde au loup que tu voudrais lui murmurer. Mais tu ne le fais pas. Tu te contente de lui sourire. Tu meurs d'envie de prendre sa main, et de franchir cette ligne qui vous sépare d'eux. La frontière du gris et des couleurs.
Le pas bavard, celui qui ressemble à un soleil malheureux, il dit que vous êtes en vie, et toi, ça te fait sourire un peu plus. les jolies phrases, ça te fait sourire. Tout le temps. Alors tant pis pour les manières de faire, tant pis pour les codes et les règles. Du bout des doigts, tu t'empares de la main de la princesse-étoile, et tu l'emporte avec toi pour de rapprocher un peu de ces drôles de princes charmants. On doit pas être loin de la ville. Tu lâches les doigts de la fille, et avec ta belle insouciance, tu tend ta main au centre de vous, de cette équipage bancal. Moi c'est Abby.
Moi c'est Abby, contente de vous connaitre, contente de vous être rentrée dedans. Contente de me perdre avec vous.
Toi la fleur.

t'as à fumer, toi. tu t'en souviens d'un coup. mais ça t'semble bête, ça t'semble loin, ça t'semble inutile. l'instant est passé, tu l'as pas cueilli. c'est l'histoire de la tienne, de vie. tu penses à respirer, t'y penses, mais d'un coup il est déjà trop tard. t'es né un dimanche, gus. ta mère elle te l'a toujours dit. t'es né un dimanche, tu pourras jamais être à l'heure. trop posé, trop passif. t'es dans ce nuage, tu fermes les yeux, t'attends, tu souris. tu souris toujours et tu respires. trois secondes. trois secondes, c'est l'temps que tu t'donnes. c'est l'temps qu'tu donnes au soleil pour v'nir illuminer votre monde.
c'est donc ça.
c'est donc ça qui change, à baff.
t'es plus seul. c'est votre monde, c'est plus seulement le tien. t'as perdu ta solitude. avant y'avait qu'toi. parfois y'avait ton ombre. mais t'es même pas certain qu'elle t'aie suivi tout le long du chemin. " on est en vie, pas loin d'la ville, à baff ", tu synthétises. tu passes pour un mioche, un peu perché, paumé dans ses constellations. tu l'cherches le ciel, mais il est encore trop loin pour qu'tu l'touches du bout de tes doigts. tu préfères toucher son ciel à elle, ses doigts à elle. " moi c'est gus " et toi, monsieur, toi t'es qui ? et toi, madame, c'est quoi ton nom ? c'est quoi votre vie. " vous cherchez quoi ? " tu souffles. tu cherches quoi, gus ? à part une goutte de pluie, à part un rayon d'soleil, à part un plongeon dans l'Océan. tu cherches quoi,
tu t'cherches
toi ?

La fille a de grands yeux confiants, de grands yeux d'enfant. Un peu plus et elle te mets sa vie entre les mains, elle qui n'a peur de rien. Petite gamine qui pourrait t'en apprendre, ses doigts enlacés pour un moment dans ceux de la grande soeur aux yeux tristes. Elle dit une vérité, Abby, la fille qui me fait des noeuds dans l'estomac, faute d'en avoir dans les cheveux. Elle tends la main, au centre du cercle, du carré, de notre conseil. Elle tends la main au centre de notre univers, mais j'y mets pas la mienne. Le type c'est Gus, ça lui va bien, Gus. Pour éviter de briser le cercle, je me mets à la mode, à cette manie qu'ont les gens de mettre une étiquette aux choses, aux gens. Je suis un Sterling, a décidé ma mère. Je suis un Sterling, peut-être le seul, qui sait.
- Sterling.
Que je leur dis, évitant pour une fois de dire une connerie.

Gus pose la question de toute une vie. Je cherche la liberté d'être qui je suis sans les contraintes d'une société conformiste. Je cherche à vivre selon mes propres règles sans adhérer aux idées préconçues de ce que ça signifie d'être heureux. Je cherche l'inconnu de demain qui est aussi imprévisible que le vent. Je cherche constamment, probablement trop con pour réaliser que je trouve chaque jour. T'as combien de temps, Gus, parce que moi j'ai toute la vie.
- Je sais pas vous, mais je cherchais rien.
Et puis puis pourquoi pas mettre des mots sur l'évidence.
- Mais on dirait qu'on s'est trouvés.

L'homme soleil, l'homme triste qui refuse de lier sa main aux votre. L'espace d'un moment, oui, juste un joli moment, t'as envie de lui demander pourquoi, si ça lui fait peur, de mélanger ses doigts aux votre. Mais tu le fais pas, pour ne pas prendre le risque qu'il disparaisse. Tu te contente d'un Gus dont le prénom raisonne comme une poésie. Ca lui va bien. Tout leur va bien.
C'est étrange, cette sensation que ta place était là. A ce moment là, a cet endroit là. Tomber par hasard sur des visages. Ca te retourne le coeur. Cette sensation d'avoir besoin les uns des autres. C'est pas les mots qui te font croire ça, non. C'est les regards, les dessins dans les yeux. La certitude qu'ensemble, vous pourrez peut être, pour une fois, faire les choses correctement.
Vous cherchez quoi qu'il demande. Tu cherches quoi que tu te demandes. Des réponses peut être. La liberté aussi, le bonheur dans le regard des gens. t'as vu trop de gens tristes, trop de gens sales. Maintenant Abby, tu choisis la couleur. En fait, t'as pas envie de cherchez quelque chose. T'as seulement envie d'être là parce que tu le dois. La voix de Sterling, cette voix qui toi te bouleverse, elle lâche une vérité. Celle de votre rencontre. Du bout des lèvres, tu laisses s'évader ton rire. Alors peut être qu'on se cherchait, tout simplement. Pour faire taire le silence, tu glisses la main dans tes cheveux, et tu récupère ta main, cette main mise la, à la merci de n'importe qui. Tant pis. Est ce que ça veut dire qu'on rentre, si on a plus rien à chercher ?

tu t'sens petit gus, petit au milieu de ces grandes âmes. y'a le vent qui souffle, y'a les feuilles qui tombent, y'a le ciel qui s'fait sombre, puis y'a vous. quatre silhouettes, quatre entités, une unité. tu t'demandes comment c'est possible, cette symbiose, cette magie. t'y as jamais cru, toi, au pouvoir des rencontres. trop terre à terre, trop solitaire, ton univers à toi c'est ton esprit dansant, tes pensées qui fuient ; qui fuient parfois, comme ça, dans les chemins des cieux. tu souris, gus.
ton esprit parfois il vole,
mais souvent il retombe.
il retombe ici et là, ici, plus que là. il a raison, sterling. tu cherchais rien, tu cherchais personne, t'es tombé sur eux, t'es tombé sur l'destin. t'y crois pas au destin, pourtant là, là tu veux y croire, gus. ça allume une flamme en toi. " moi j'rentre pas " tu souffles simplement. t'as pas envie, pas comme ça, pas maintenant. c'est pas vous. tu l'sais, c'est pas vous la fuite. comment fuir ? comment fuir ce que le monde vous a dessiné ? " on n'a jamais fini de chercher ", chercher un sourire, un regard, un geste. chercher sa peau, chercher ses yeux qui brillent, chercher sa voix qui chante. chercher ton esprit qui s'envole.
ton esprit qui s'envole avec les leurs.

"Zahra". Ton nom s'envole dans l'immensité de votre bulle, tandis que tu rencontres les autres. Tu sens encore sa main sur la tienne, même si elle n'est plus là. Dommage. Tu regardes les autres, votre bulle de couleur t'envahissant tandis que le gris s'envole au ciel. Les perles sont loin maintenant. Tu les regardes, et le bonheur d'Abby t'envahit. Abby, ça lui va bien. Sterling, triste soleil. Gus, petite souris perdue dans l'immensité de notre univers. Il semble perdu, Gus. Il pose des questions, Gus. Mais toi, ça te touche de le voir si petit dans ce grand monde. "Je rentre pas non plus. J'ai nul part à rentrer, de toute façon." Tu restes là quand même. Parce que t'as l'impression d'avoir trouvé. D'avoir trouvé quelque chose. D'avoir touché quelque chose. Quelque chose qui te touche et te donne l'impression que t'es vivante, que tu vis pour une fois depuis longtemps. "On fait quoi, si on rentre pas alors?" Ta question te semble stupide. Mais tu veux savoir ce qu'ils vont faire, tu veux savoir que tu fais partie d'eux comme ils font désormais partie de toi.

Abby, petite créature emmêlée dans le vent, touchant à peine au pavé. Gus, petit frère d'une autre mer, d'un pacifique aux airs d’atlantique. Zahra, grande égérie d'un hasard sans nom. Ma trinité.

On lance des mots au vent, les attrapant d'une caresse de l'oreille, ne les laissant jamais tomber. Une petite confiance avortée grandis entre nous, portée par ce qui pourrait être une amitié. Ça creuse mes doutes, ma peur d'être trop grand, trop barbu, trop silencieux, trop loin d'eux.

- Si personne n'est allergique aux poilus à quatre pattes, j'ai un petit morceau de paix ou j'ai planté quelques piquets.
Mon bras s'étire pour me gratter l'épaule, n'ayant rien d'autre à offrir. Peut-être que le vent nous emportera, nous séparant sur le champ. Laissant un petit espoir se balader sous nos peaux, celui de peut-être se recroiser un jour, dans cette vie ou la prochaine.

Zhara. Zhara qui refuse de rentrer elle aussi. Ca te noue la gorge, cette beauté, cette chose invisible entre vos doigts. Oui, vous pourriez être amis. Ils pourraient être ces gens que t'attendais sans le savoir. Ceux avec qui on prend plaisir a partager sa vie. Donner du temps. Sterling-soleil propose un endroit, son endroit. Est ce que c'est une invitation ? Celle de pénétrer dans son monde, ce monde qui te semble couvert de contraste. Oui, toi ça te plairait. Un chien ? Tu voudrais le rencontrer, lui aussi. Peut être qu'il pourrait faire comme vous, devenir un mousquetaire. Un héro de roman. De ceux qu'on lit en souriant, et qui nous donne mal au ventre. Pour dire que non, toi non plus tu ne veux pas partir, tu souris, et tu t'empares de la main sauvage du barbu pas bavard. Tu sais pas pourquoi tu t'autorise à faire ça. Peut etre parce que Zhara, t'as déjà, pour un court instant, partagé la douceur de sa peau. La peau des gens c'est important. Ca fait circuler tout un tas d'émotions. Des belles comme des tristes. Moi je te suis dans ton morceau de paix.

Spoiler:

c'est donc décidé, vous n'rentrez pas. marrant. c'est tout c'que tu t'dis. bizarre, aussi. marrant et bizarre. d'rencontrer des personnes comme ça. d'lier en trois mots. un échange, quatre phrases. tu connais leurs noms, t'as saisi leurs regards. c'est tout c'qu'il te faut. tout c'qu'il te faut pour faire confiance à l'être humain, ce matin. tu t'dis qu'c'est beau, vous êtes beaux. ça fait longtemps qu't'avais pas pensé à quelque chose comme ça, gus. ça faisait longtemps qu't'avais pas cru aux miracles.
longtemps. " c'est parti " tu t'laisses glisser. t'as jamais trop aimé les chiens, mais ce matin tu t'en fiches. tu vois abby prendre la main de sterling et tu t'dis qu'toi aussi t'aimerais qu'elle prenne ta main. juste pour voir. puis cette pensée t'semble déplacée. " pourquoi t'as nulle part où aller ? " tu d'mandes à zahra. tout l'monde a quelque part où aller. surtout ici, surtout à banff. parce que personne n'arrive vraiment par hasard dans ce coin d'espace. tu laisses la question planer et tu lèves les yeux. c'est pas très jojo, tu t'dis, en voyant les teintes grises tapisser le ciel. tu t'rappelles que t'as tes clopes et tu sors le paquet. " eh sterling " tu dis, en souriant. tu lui en tends une et ça t'fait marrer. décidément, ça valait l'coup de s'arrêter ce matin. ça valait l'coup de mordre au temps.

T’es bien. Tellement bien tout à coup. Comme si tu t’étais retrouvée parmi ces gens-là, des gens que tu as beau pas connaître, mais qui semble pourtant si près de toi malgré la distance qu’il y entre vos esprits. Tu vois Abby prendre la main de Sterling, et toi aussi t’as envie qu’elle te touche encore. Parce que t’as senti l’étincelle de vos deux âmes qui s’entrechoquaient tout à l’heure, et t’as su qu’elle devait être liée à toi, peu importe la manière. Mais ça serait trop bizarre trois de large sur le trottoir, alors tu laisses tomber. Gus te parle, et tu tournes ton regard vers lui. « Parce que j’ai pas décidé où je voulais aller. » Fuir avait été ta seule motivation. Fuir plus loin que ton ombre. Fuir plus loin que toi. Fuir pour mieux t’enfuir. Tu t’envoles pourtant loin de cette idée maintenant. Parce que ce n’est pas ce que tu veux faire parmi eux. « Sauf que là, maintenant, j’ai envie d’aller voir ce chien. C’est où j’irai. » Tu souris. Oui, c’est là où tu seras bien. Parce que c’est une belle journée. Une belle journée pour rester.

Le ciel a des airs d'océan, on est des marins d'eau douce, des pirates des routes. Ça fait rien, parce que notre petit quadrilatère a des airs d'équipage.

Elle a la peau douce, Abby. Avec ses forêts au fond des yeux, j'oublie un peu. C'est pas naturel, de toucher les gens comme ça. Ça creuse un peu mes yeux, là où mon coeur vient à manquer. Abby, c'est une hirondelle, plus légère que le vent. Ça me fait peur comme jamais, comme jamais avant. Que des conneries, je m'en fais pour rien. On est bien, pour un instant.

La voix de Gus m'interpelle, et il me tends un paquet de clopes. Ça me fait sourire, cet air qu'il a, d'avoir oublié qu'il a de quoi fumer. Je sors une cigarette, lui lance le paquet.

Zahra dit qu'elle viendra, je l'ai pas entendue parler, pas assez. On dirait qu'elle a des secrets coincés dans la gorge. Un peu d'air frais, ça peut pas faire de mal. Elle me fait penser à quelqu'un, sans que je puisse savoir qui. Ça ne me dérange pas, d'être un peu confus. C'est nouveau toutes ces histoires. Ces amis de voyage, ils ont de quoi faire sourire.

Abby s'acharne à nous faire vivre. Elle nous interdit de crever. Une petite étoile qui promet de briller tant qu'on ne se fera pas de mal. Je souris à Gus, lui envoie un clin d'oeil, et glisse la clope dans la poche intérieure de ma veste. Ce sera pour plus tard, mon vieux, pour plus loin.

- Eh, Abby, on meurs tous un jours, mais pas tant que ceux qui nous aiment pensent encore à nous. C'est ce que disait ma mère.
Je fronce les sourcils, avançant de quelques bas. Je mène le bal, la compagnie, la troupe des amis instantanés. Faut pas parler de maman, ça me mets à l'envers. Ma main est froide, je réalise seulement qu'Abby a changé de partenaire, ayant soin de prendre toutes les mains, de ne laisser personne à l'écart.
- Par ici, c'est encore un petit kilomètre.

elle a pas décidé. très bien, t'hoches la tête. t'as l'droit d'pas décider, zahra. t'as l'droit. c'est ça qui t'plait à banff, gus. t'as l'impression qu'ici personne ne viendra freiner tes rêves. les rêves, en général. c'est une ville à rêves, banff. une ville à rêves. c'est quoi tes rêves, gus ? t'y penses et tu lèves un peu les yeux au ciel. t'en as eu un y'a longtemps, mais il s'est envolé. tu souffles un peu trop fort pour qu'cette pensée aussi, elle s'envole. t'aimes pas y penser. tu veux t'fumer une clope, t'es certain qu'ça te libérera. sterling il en veut bien une, de clope. ça t'fait sourire ça, d'lui en offrir une. tu t'sens comme un gosse qui offre un cadeau à son grand frère. sans trop savoir comment s'comporter, sans trop savoir comment agir. tu souris du coin des lèvres. jusqu'au moment où tu frissonnes. y'a sa main sur la tienne. abby. jolie abby. tu la regardes sans trop comprendre. pourquoi elle parle de mort ? pourquoi tu parles de mort, dis, abby ? tu souris, sans trop réfléchir. tu t'dis qu'ça doit être ça, la réponse à sa question. sterling il t'fait un clin d'oeil, alors oui t'as eu raison d'sourire. ta main se serre dans la sienne et tu finis par la ranger dans ta poche, cette clope. " ça va aller, abby " tu souffles en serrant plus fort. t'inspires, t'expires, mais t'en as besoin d'cette cigarette. t'as l'esprit complètement retourné, les pensées en vrac, l'coeur en miettes. t'essaies de t'calmer, gus, t'essaies de t'concentrer sur la présence des autres. tes amis, tu t'dis. tes étranges amis. tout va bien, tout va bien. puis sterling dit qu'vous êtes presque arrivés. et alors ça va plus. t'as la tête en vrac. tu lâches sa main, à abby. tu les regardes plus trop tous les trois, tu regardes un peu le ciel, un peu tes pieds. cet air de mec en manque, un peu frénétique, un peu perdu. ton corps est là mais ta tête elle est partie. " en fait j'dois y aller " tu murmures, la voix tremblotante. tu t'pinces les lèvres, tu leurs jettes un coup d'oeil gêné et puis tu prends tes jambes à ton cou. elles tremblent tes jambes, gus. t'as envie d'chialer. ça ouais, t'en as sacrément envie. alors tu reprends ta clope et tu t'la coinces dans les lèvres. et tu l'sens, tu l'sens qu'elle a un putain d'goût d'amertume.

Spoiler:

Tes pieds t'emportent, te font voler à la suite des trois autres. Tu t'envoles comme un papillon dans l'air. T'es libre, libre comme l'air, enfin. Malgré ses grands discours, tu sais qu'Abby, elle a un grand coeur. Elle ne veut juste pas les perdre, les garçons. Parce que fumer, c'est mal, on le dit partout. Et tu veux bien le croire, maintenant qu'elle l'a dit, elle aussi. Tu regardes les garçons, qui n'ont pas l'air d'y croire, mais qui veulent faire plaisir à l'arc-en-ciel. Tes pensées volètent encore, mais tu stoppes net aux paroles de Gus. Quoi, déjà? T'es la première à réagir, à te retourner. T'aurais envie de lui chuchoter de rester, que vous étiez amis, pour que le vent lui apporte tes paroles. Mais au lieu de ça, déjà trop loin pour que le vent t'emporte, tu lui cries, chenille devenant papillon. "Oublie pas que t'as pas le droit de mourir, Gus! T'as pas le droit!" Tu soupires devant ta propre sortie, et tu te retournes vers les autres. "Pourquoi il est parti? Il a quelque part où aller, lui?" Tu le jalouses un peu, mais toi aussi, t'as quelque part où aller, maintenant.

Ça s'est passé si vite, comme un coup de vent, comme une tornade de possibilités qui passent entre les doigts, comme un ouragan de souvenirs de tous ces gens rencontrés qui n'ont été que ça, des rencontres. C'est le fardeau d'une vie de vagabond, quand les amis se tissent en quelques secondes pour se découdre quelques minutes plus tard.

L'aventure est tombée dans le vide alors qu'on s'accroche à la limite du précipice. Gus a fait l'absent, ne me restant de lui que cette clope bien calée contre mon coeur. Je la fumerai à ta santé, mon frère, à tes poumons cramés. Abby s'est évincée, petite colombe dont quelques mots ont retenus l'envolée. Il ne reste que Zahra, des papillons dans les yeux, des questions dans les sourcils.

- T'en dis quoi, petite, si jte serre dans mes bras, et qu'on laisse le destin nous séparer ou nous recoller. Peut-être qu'on retrouvera Gus et Abby, quelque part, un de ces jours. . .
Je prends exemple sur Abby, qui avait pris soin de bien mettre en sécurité chacune de nos mains entre les siennes. Petite hirondelle, petit oiseau partit trop tôt. Allez, petite, je t'ouvre les bras, c'est pas tous les jours que je fais ça.

Fuir, fuir. Ils sont partis si vite. Ton cœur s’est envolé avec eux. Ils t’avaient volé, volé une partie de toi tandis qu’ils s’envolaient vers d’autres horizons. Comme si seul leur vol comptait et que laisser là, de petites âmes innocentes, c’était tout à fait normal.

Ton cœur saigne, s’écrasant au sol comme une roche dévalant la montagne. Tu ne sais plus quoi faire, seul le phare de son regard tente de te ramener sur le chemin, le chemin qui sera vôtre tandis que les autres s’envolent sans vous. Amis d’une fraction de seconde, amis trop vite partis. Ton regard papillonne tandis que tu les vois toujours là, même s’ils sont bel et bien partis.

Tu atterris dans ses bras, la descente du pays de l’envol n’ayant pas été sans turbulences. Sterling, si près et si loin à la fois. Comme l’horizon ou la queue de l’arc-en-ciel. Accessible dans son inaccessibilité. Comme si tu avais ouvert une porte, une porte sur l’infini. « Et si on choisissait pour le destin? Il s’envole comme les oiseaux, nous enlevant ce qu’il nous avait offert. Et si on faisait comme lui? » Trop de mots, trop de contacts. Comme si on redevenait humains le temps d’un instant. Le temps d’un vol.

Des crampes engourdissent mes mollets, me laissant envier Abby et Gus d'être si légers. Ils sont partis comme le vent, nous laissant avec des briques aux pieds, les yeux reflétant encore leurs silhouettes.

Zahra est si petite dans mes bras, c'est moi qui est trop grand, trop monstrueux. J'ai peur de briser les gens quand ils me laissent approcher, quand je les laisse à proximité. C'est une histoire de rage qui creuse mes humeurs jusqu'aux os, me gardant à distance, me laissant regarder de mes contrées sauvages, ce mon qu'on dit civilisé.

Ses paroles créent un doux sourire accompagné d'un hochement de tête. Faut pas tromper le destin, petite demoiselle, faut pas vendre nos âmes. Je fais un pas plus loin, un pas à gauche, un à droite, quelques trots. Puis je me retourne, alors que je croyais quitter la fille aux yeux tristes.
- Pourquoi t'étais triste ?