ça fait bien des heures, que tu marches, peut-être même des jours, en fait, t'as perdu la notion du temps. t'as quitté le camping, où t'as posé ta caravane, un peu plus tôt dans la journée, et comme t'es trop maligne tu portes jamais de montre donc tu sais pas quelle heure il est. t'as le ventre qui crie famine mais quand tu regardes autour de toi, y'a rien, y'a rien qui puisse satisfaire ton estomac. t'as demandé à la dame qui gère le camping de t'indiquer la plage la plus proche, elle t'a dit que c'était pas loin, elle t'a montré la carte, sauf que la notion de distance, elle est relative. alors, te voilà errante, perdue et égarée, sur le bord d'une route, le pouce levé. t'as plus qu'à prier -et c'est ce que tu fais, qu'une âme charitable, veuille bien t'accueillir, dans son bolide et t'amène à destination. mais t'sais même pas où se situe la plage, dans quel sens aller et où tourner. autant t'as quitté la province d'alberta, sans même t'en rendre compte, tellement t'as marché. le sens de l'orientation et toi, ça n'a jamais été une grande histoire d'amour, de toute façon. si ça continue et que personne t'embarques, tu vas finir par devoir te désapper, si tu veux rentrer chez toi avant la tombée de la nuit -bien que le soleil soit encore haut dans le ciel.

Tu roulais depuis des heures. Tombant de fatigue, tu clignais des yeux. Tes yeux rouges, bouffis. Tu ne savais plus où aller. Il n'y avait pas plus d'une direction indiquée. Et alors, les regrets te serraient la gorge. La culpabilité, son regard. Ses traits éteints. Ta flamme s'était consumée, la sienne avait brûlé. Ton cœur cognait dans ta poitrine. Tu l'avais trahi, trompé, blessé, humilié. Abandonné. Une larme glissa sur ta joue chétive, sur ton visage fermé. La tristesse, les doutes rongeaient ta chair. Tu te serais rongée les ongles jusqu'au sang si tu n'avais pas tenu entre tes mains le volant. Ta vie. Quel poids avait-elle, la vie. Une existence de désillusions. Tu avais mal. Mal de n'avoir pas osé. Tu aurais dû ne serait-ce qu'essayer. Tu avais peur. Tu as toujours eu peur. Tu te serais tapée la tête contre les sièges de ton Cabriolet. T'insultais, te haïssais. Tu étais passée du tout au rien, de l'amour aux doutes. Et maintenant, tu te perdais sur la route. Âme écorchée.
Tu reportais ton attention sur le paysage, la région. Tout ici était différent. C'était le mieux, pour toi. Que tu changes, que tu avances. Tu te le devais à toi-même. Tu te devais de te reconstruire, de te chercher. Tu le devais à lui, surtout. Peut-être trouveras-tu, un jour, le courage de lui écrire une lettre. De lui donner des explications. Mais, à cet instant, tu ne pensais qu'à te trouver, qu'à te comprendre.
Tu remarquas deux silhouettes, sur le bas côté. Tu garas la voiture, te recoiffas, te repoudras le nez. Là-bas, tu n'avais plus de fierté, de dignité. Où que tu sois désormais, tu t'efforcerais de préserver ton image. C'était une promesse que tu te faisais à toi-même. Tu ouvris la vitre, les appelant de ta voix cristalline. « Vous voudriez monter ? » Tu te penchas du côté passager afin de leur ouvrir la portière gentiment. Derrière, laissant une place, tu regroupas tes affaires.

tandis que ton étincelle d'espoir se consume, un peu, beaucoup, tu laisses ton imagination s'évader, des scénarios se forment dans ton esprit, ceux où tu meurs et ceux où tu vis. parce que là, autour de toi, y'a que de l'inconnu, c'est comme si tu venais de naître et de découvrir la vie. petite fille ouvrant les yeux pour la première fois.
mais, finalement, une silhouette se dessine, un peu plus loin, lentement, avançant vers toi. tu soupires, de soulagement, prête à te jeter dans ses bras. tu n'es plus seule, et t'es prête à tout pour ne pas le redevenir. un homme, jeune, grand, fort, tu le détailles tandis qu'il prend la parole. le craindre? le dois-tu? quelque chose en lui t'inspires confiance. "vous recherchez quelque chose? puis la forêt pour une jolie fille comme vous, ce n'est pas recommandé." il te sourit. c'est mignon. tu lui rends. automatisme. 'je n'ai pas peur de la forêt' mensonge, menteuse, et ça se voit, ça se sent, tu ne sais pas tromper les gens. tu fais la fière, la fille forte. 'es-tu du coin? je viens d'arriver à banff, et je cherchais la plage. on m'a dit qu'elle était par ici..' tu jettes un regard autour de toi, puis tu lèves les yeux au ciel, admettant silencieusement que, ouais, c'est évident, le sable et l'eau t'en es loin.
un bruit de moteur se fait entendre, une voiture arrive, se gare, à vos côtés. sauveuse. une tête apparaît par la vitre ainsi qu'une voix, qui crie 'vous voudriez monter?' oui, tu voudrais. mais d'abord, t'interroges le type qui te fait face du regard et t'ajoutes 'tu viens?' sourire encourageant aux lèvres, t'espères qu'il va se joindre à toi. deux âmes égarées sur le bord d'une route.

deux âmes égarées, qui se sont trouvées. deux âmes réunies, qui se tiennent compagnie.
'je cherchais la plage, tu sais où elle est?' aucun interlocuteur direct. néanmoins ton sourire se porte sur ton compagnon, vagabond, apollon.

étiez-vous réellement deux inconnus? si oui, ce ne pouvait être possible. c'était une certitude. si non, dans un autre monde, sur une autre planète, quelque chose qui ressemble aux rêves et à l'imaginaire. tu lui confies ton nom. 'alix.' un mot, rien qu'un. les autres semblent s'être envolés, volés, évaporés. la faute à qui, à lui. il te rend muette, t'intimide, un peu, beaucoup. la question c'est pourquoi.

cézanne, cézanne, cézanne. ça résonne dans ta tête, et dans ton corps, jusqu'au plus profond de ton être. tu le répètes, encore et encore, en boucle jusqu'à l'ancrer en toi et ne plus jamais se séparer de ces quelques lettres. 'je te connais, j'en ai l'impression.' c'est curieux, ce sentiment, et ça donne des frissons. tu te sens stupide, peut-être que tu l'es. il semble gêné, cézanne, mais pas autant que toi.


(c'est beau, c'est beau cette façon que t'as, de décrire ma poupée.   je tenais à le dire.)

il te met mal à l'aise. t'es bien et t'es mal en même temps. comment c'est possible? tu voudrais en savoir plus, sur lui, sur le cézanne d'aujourd'hui et le cézanne d'hier. et d'un autre côté, non, tu sais pas ce qu'il cache, ce qu'il a enfoui au fond de lui. et t'as trop peur, peur de déterrer quelques sombres secrets, de bouleverser son monde, et le tien. vos doigts se fondent ensemble, à la perfection. la symbiose de vos deux corps réunis, unis. du moins une partie. 'tu es jolie'. cézanne, il a ce petit truc, charmant, et à côté de la plaque. décalé, hors du commun. il ne répond jamais à tes questions. son esprit est ailleurs. inaccessible pour l'instant. que dire? que répondre? un simple 'merci', les joues en feu et le regard qui s'échappe, qui esquive le compliment. c'est trop, c'est trop pour toi, trop pour ton petit coeur. tu ne sais quoi répondre. tu voudrais lui rendre l'hommage, l'hommage de sa beauté et de son charme, indescriptibles, mais tu ne trouves pas les mots et tu laisses aller. de toute façon tout le monde doit lui dire, tout le temps. et tu n'es pas comme tout le monde. tu avoues, pour combler le silence, qui est pourtant loin d'être pesant, plutôt rassurant 'tu m'intrigues, tu sais'. qui es-tu cézanne? prochaine question. à laquelle il ne répondra pas.

il s'approche, il se rapproche. laisse ses doigts parcourir les traits de ton visage, les courbes de ta peau. ce contact est électrisant, mais tu ne tentes pas de t'y soustraire. sa bouche est proche, trop proche? non, jamais assez. dans ton oreille, il chuchote. et toi, 'je ne vois pas en quoi, pourtant'.
tu n'oses pas plonger tes yeux dans les siens, de peur de t'y perdre et ne plus jamais pouvoir t'en détacher. alors tu observes tes mains, tes doigts, qui se mêlent, qui forment un noeud, nerveux, posés sur tes genoux dans l'attente, toujours l'attente.

"j'veux plus tomber, moi" et cette fois-ci, tu oses, tes yeux se fixent aux siens, ardent. 'je serais là pour te rattraper, cézanne. j'ouvrirai ton parachute, et plus jamais tu ne tomberas.' mais toi, et toi, qui t'ouvrira ton parachute quand tu tomberas? qui te protégera de la chute, imminente? personne. tu préfères sauver cézanne, plutôt que toi.

'd'accord cézanne, je te le promets.' il est une promesse à lui tout seul. et une promesse, c'est sacré. vous tomberez. encore et toujours. mais ce sera ensemble. et plus rien ne vous fera jamais peur.

et c'est ainsi que deux inconnus viennent de se lier. à jamais. pour l'éternité.
c'est subtil, c'est discret, c'est tentant, palpitant, c'est une tension qui règne dans l'air, deux souffles qui ne veulent faire plus qu'un. qu'est-ce qui les empêche de s'unir? tout. et rien. ils ne doivent pas, ils ne devraient pas. mais qui édicte les lois?

il te ramène au vrai, à la réalité, il te rappelle que vous roulez, dans la voiture de quelqu'un que vous ne connaissez pas. t'avais un but, avant de le rencontrer. c'était la plage. 'je crois que j'ai trouvé mieux'. et maintenant, qu'est-ce que tu veux alix?

du moins pour toi. tu cherchais la plage. un lieu à visiter, dans lequel te réfugier. maintenant t'as des bras, un esprit à découvrir, à pénétrer. 'c'est toi, cézanne.' tu pensais que c'était évident pourtant. qu'il n'y avait plus que lui.