DES HISTOIRES DE FANTÔMES

Toi, ta maison, tu veux qu'elle soit sans toit, pour pouvoir regarder les étoiles avant de dormir.

toi, pour ta maison, tu veux un toit, parce que t'as peur que le ciel te tombe sur la tête. tout le temps, à chaque instant.

Toi, pour ta maison, tu veux des murs, tu veux une porte, tu veux un verrou. Tu as peur qu'on y entre, qu'on vienne chatouiller tes pieds dans ton sommeil, qu'on découvre tes secrets.

Il y a deux autres garçons, les yeux perdus dans le spectacle du ciel, la danse des étoiles, le règne de la lune.
Toi tu imites des bruits de feux d'artifices avec ta bouche, tu fais taper tes pieds par terre, tu fais décoller les cailloux.
Tu fais du bruit.
Putain, Maxence, silence !
- Vous cherchez un apart ?

t'as envie de rire des ses feux d’artifices vocaux, et tout ça. mais tu ne fais rien. tout le monde a le droit de rêver. ce n'est pas parce que tu ne rêves pas qu'il faut briser les rêves des autres. peut-être, je n'sais pas trop ce que je veux.

Ils ont l'air un peu timbrés. Un peu blasés, un peu perdus. L'immensité du ciel ne doit rien arranger. Je me sens miniature. Ouais, un appart. J'ai de quoi payer. Je précise, sait-on jamais. Je lâche mon sac à dos par terre. Ca ne suffit pas à avaler les imitations de l'inconnu. Je plonge mes mains dans mes poches, je frissonne dans le froid de la nuit. Et je les imite : je regarde le ciel. Partout le même, rien d'extraordinaire. Un ciel.

Tu te demandes où t'es tombé alors que t'es le plus dingo. En tous cas celui qui le montre le plus - bruit, toujours ton bruit, encore plus de bruit.
Le blond ne sait pas ce qu'il veut, dit-il.
Et l'autre, aussi sombre que le premier est d'or, leur apprend qu'il a assez pour payer un appartement.
Conversation de sourds un peu.
- Comment tu peux n'pas savoir ce que tu veux ? C'est bizarre ça. Tu veux qu'on choisisse à ta place ? Tu veux vivre avec nous ? Y aura un toit ouvrant à notre maison.

tu comprends pas trop c'qu'il raconte ce gars-là mais il te plait bien. non merci, je préfère être seul. c'est que tu vas nous faire pleurer tiens. connard.

- Personne a envie d'être seul dans la vie, à moins d'être capable d'avancer tout seul sans s'faire mal. C'est rare. J'ai pas envie que tu préfères être seul, allez, dis oui. C'est quoi ton nom ?

Un toit ouvrant dans la maison. L'argument fait mouche pour moi. Une décapotable pour s'ouvrir sur la nuit glaciale. Pour reprendre conscience de l'immensité de l'univers et de la médiocrité de mon âme.
Je les regarde. Je regarde surtout celui qui parle, qui fait des bruits bizarres. Il dit nous, ça me perturbe. Ça m'effraie et me plait en même temps. Sur qui suis-je encore tombé ? L'autre refuse. Il préfère être seul. Moi je déteste être seul. Je m'assois sur mon sac et les observe en silence. Je mise tout sur le bavard. Je sens qu'il peut convaincre le solitaire. Un drôle de jeu.

tu hausses tes maigres épaules de rouquin. dino. tu lâches ça, comme ça. et toi ? et vous ? tu soupires. donne moi une seule bonne raison de dire oui.

- J'te dis, tu verras les étoiles de ton lit. Ça te fait pas envie ? Non mais t'imagines le spectacle ?
Tu écrases un caillou, il crisse, il crie.
Et puis tu souffles ton prénom, Maxence, deux syllabes franches et une dernière plus discrète. Maxence qui rime à silence. Tu pourrais essayer d'honorer les consonances de ton nom, quand même.
- Aide-moi, toi !
Tu parles au voyageur. Le derrière posé sur son sac comme si c'était à toi de vendre des étoiles au petit dinosaure.

Dino. Maxence. C'est leur nom. Je reste là à les écouter. Dino veut des arguments. Maxence est un poète. Convaincre quelqu'un grâce aux étoiles ? Allons-y.
Puis le bavard se tourne vers moi, il veut mon aide. Moi, je pourrais l'aider ? J'en sais trop rien. Ai-je quelque chose à perdre ? Perdre Dino ? Je ne le connais pas. Moi, je ne suis pas poète pour un sou. Je ne suis pas bon à grand chose. Juste à être un peu réaliste, parfois. Et terriblement maladroit, souvent.
J'ai des m&m's dans mon sac ? je ne sais pas trop quoi dire d'autre. Comment vendre un endroit dans lequel je viens d'arriver et dont je ne connais rien ? Si tu veux rester seul, tu feras ça dans la journée. Mais le soir, on se pointera ici, on matera les étoiles, on parlera ou on se taira. On s'en fichera un peu mais on sera trois pour attendre le lendemain. Pour reprendre un peu de courage. Il en faut beaucoup ici, j'ai l'impression. Je fouille dans mon sac, trouve la poche de bonbons au chocolat. Je me lève et lui pose la poche dans les mains avec une ébauche de sourire qui disparaît aussitôt. Moi c'est Ulliel.

j'accepte alors. tu lâches ça sans trop réfléchir. tu les regarde, vole un bonbon au chocolat et croque dedans. merci. tu regardes le fameux maxence. alors promets-moi que le ciel ne me tombera plus jamais sur la tête.

L'odeur de la nuit commence à se faire sentir, tu frissonnes, tu voudrais bien bien avoir un lit pour dormir cette nuit. Tu t'apprêtes à faire du bruit pour accélérer le choix de Dino.
Mais l'explorateur entre en scène.
Une bouche à jolis mots.
Ulliel, dit-il.
Tu dirais bien oui trente fois à la suite, mais c'était pas à toi d'être convaincu alors tu te tais. Merci pour ton silence Maxence.
Et Dino accepte, la bouche chocolatée, commentoi sauf que toi, c'est pour toujours, ta bouche et ta peau sont du gateau au chocolat, des kit kat, des kinders.
Tu donnes faim.
- Alors promets-moi que le ciel ne me tombera plus jamais sur la tête.
Tu sursautes.
T'es pas un héros.
- Il t'est déjà tombé sur la tête, toi, le ciel ? De toute façon t'es un dinosaure non ? T'es indestructible. Le ciel, il peut rien te faire, et puis si t'y tiens, le toit ouvrant, on s'en servira pas quand tu seras là. J'veux dire, si t'as peur ...

J'ai pas menti. Mais j'en ai l'impression. Du courage, il en faut. Mais peut-on tout affronter à trois ? Se redonner de l'énergie, de la patience ? Je ne sais pas. Je n'ai jamais été à trois.
Dino accepte. Il prend aussi un m&m's, comme pour sceller votre marché. Je me pointe devant Maxence pour qu'il l'imite. J'en mangerai un aussi. Mais d'abord eux. Sait-on jamais.
Dino a peur que le ciel lui tombe sur la tête. Je me retourne presque brusquement pour l'observer. Est-ce qu'il rit ? Est-ce qu'il est sérieux ? Le bavard le rassure. Le toit ouvrant restera fermé pour les soirs où le ciel est trop instable. Si tu as peur... On pourra aussi fermer la porte à clé ? demandé-je. Tant qu'on y est, autant réclamer.

Tu fais craquer la carapace du m&m's sous tes dents, c'est un cadeau d'Ulliel, ou alors c'est un contrat pour votre futur appartement, tu sais pas. C'est du chocolat, voilà.
- On pourra aussi fermer la porte à clé ?
Tu virevoltes, du dinosaure à l'explorateur.
Tu fais de grands yeux.
De grands bruits - bras, bouche, corps tout entier -, et tu sors un grand mot.
- Toi aussi t'as peur ?

Je n'aime pas les dortoirs. Je n'aime pas les chambres séparées par un mur de papier. Je n'aime pas me sentir appartenir au reste du monde. Je veux un endroit à moi. Un endroit qui ne s'ouvre qu'avec mes clés. Si ce doit être un endroit ouvert sur le ciel, jour comme nuit, dégagé et étoilé, je prends aussi. J'ai pas vraiment peur. Disons juste que c'est... au cas où ? Je hausse les épaules en croquant un m'n'ms.

hrp : comment qu'on fait ? :11:on dit que Dino a fui devant le ciel qui menaçait de lui tomber sur la tête ? :hm:

C'est peut-être le ciel qui lui paraît lourd soudain. Les étoiles trop proches, prêtes à vous tutoyer tous les trois, ou alors c'est la lune qui prend trop de place là-haut, et puis qui semble se balancer dans son royaume, comme si elle allait dégringoler. Vous casser la tête.
Tu sais pas.
Ça peut être tout ou rien.
Mais il part le roux-blond. Il prend son sac un dernier m&m's ses jambes à son coup et il court au loin.
- Ben dis donc, il est pas très courageux pour un dinosaure celui-là. Toi aussi l'aventurier tu vas t'en aller ?
Maxence, méfiance.

Spoiler:

Dino s'enfuit. Je n'ai certainement pas su le convaincre. Et le ciel étoilé de Maxence non plus. Trop exigeant ou trop flippé ? Je n'en sais rien. Son sac, un m'n'ms et il disparaît. J'ai l'air perplexe, c'est bien visible sur mon visage. Maxence est inquiet, c'est dans sa voix que ça s'entend. Non, ma fuite s'arrête ici justement. Je lève les yeux et embrasse les étoiles d'un regard. On fait quoi, on s'incruste, on s'installe. On se la joue coucous ?

Pauvre gosse t'es encore un peu chamboulé par le départ du dinosaure, vous étiez trois et vous n'êtes plus que deux, qu'est-ce qui va se passer quand vous allez monter les escaliers ?
Encore un de moins ?
- Non, ma fuite s'arrête ici justement.
Et alors ?
Bah tu souris. T'as peut-être enfin un ami. Quelqu'un pour partager ta vie, celle qui commence le matin quand tu t'ouvres les yeux sur ton oreiller et qui s'arrête quand tu te couches sur ton oreiller. La vie. Avec un grand V bruyant.
- On fait quoi, on s'incruste, on s'installe. On se la joue coucous ?
Oula.
Tu perds ton air de chef des opérations pendant deux secondes. Réflexion. Tu tombes un peu. Et puis tu remontes. Ascension. Escaliers de secours, tu les grimpes dans un bruit énorme de ferraille, jusqu'au ciel tu montes. T'as dit que ta maison, elle aurait pas de toit.
Ta maison, ce sera le toit.
- VOILÀ !
Les bras en V au-dessus de la tête.
C'est peut-être pas comme ça que ça marche.

Je ne suis pas sûr que Maxence fasse un bon coucou. Moi non plus d'ailleurs. Il finit par grimper, déterminé, les escaliers. Moi je le suis, soumis. Comme d'habitude, je n'ose pas m'imposer. On arrive sur le toit, il écarte les bras. Nous sommes arrivés à destination. J'explose de rire, je ne connais pas encore Maxence mais malgré tout, je trouve sa réaction prévisible. Ok, ce soir, on dort là. Et demain, on se trouve un truc. Un truc avec le ciel pas trop loin, évidemment. Et où on pourra fermer à clé, ça te va ? Je m'assieds par terre et m'allonge, la tête sur mon sac de rando.

Il rit, mais il se moque pas, du tout. Il rit, il dit
- Ok, ce soir, on dort là. Et demain, on se trouve un truc. Un truc avec le ciel pas trop loin, évidemment. Et où on pourra fermer à clé, ça te va ?
Tu restes béat-content devant la ribambelle de « on ». On, nous, lui et toi, à deux. Il dit « on » et il dit « demain ». T'es content d'avoir un demain avec quelqu'un, un Ulliel.
Tu l'imites, gamin. Ton sac est ton oreiller de ce soir.
- Bah bonne nuit. Je ronfle. Et puis merci.
Les étoiles vous veilleront.

Le plan semble l'émerveiller. Il s'allonge aussi, pas loin de moi. On dirait un gosse qui a attendu des années avant de dormir.
Je reste éveillé longtemps. Les étoiles me regardent, je pense silencieusement à elles. J'attends de l'entendre ronfler pour m'endormir. De temps en temps, je tourne la tête vers sa silhouette. Mon unique nuit à la belle étoile. C'est une promesse.

Spoiler:

» FANTOMES.

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