Elle est perdue, elle est blessée, elle est fatiguée et elle peine à se déplacer. Elle ne sait pas vraiment où elle se trouve, elle a beaucoup marché, elle a beaucoup couru et se sent vulnérable. Ce n'était pourtant pas comme ça qu'elle avait imaginé sa journée ce matin alors qu'elle était encore bien au chaud dans son lit moelleux. Non, elle n'aurait jamais pensé se retrouver au Canada dans cette petite ville perdue. Rahma marche encore et encore, elle a besoin d'aide, ses blessures lui font de plus en plus mal et elle sait qu'elle ne tiendra plus longtemps. La jeune femme aperçoit enfin un endroit où on pourrait l'aider, une station essence qui semble être encore ouverte, elle se dirige vers elle avec difficulté, pousse la porte et dit d'une voix faible. « J'ai besoin d'aide. »

Elle s'arrête dans une station essence pour faire le plein. Oui, elle détestait ce tacot, mais il fallait bien se déplacer. Elle en profite alors pour vagabonder dans le magasin de la station, ne cherchant rien en particulier, laissant son regard se poser avec envie sur les paquets de chips. Un sac dans la main, elle se décide finalement pour un assortiment de chips de légumes et va en direction de la caisse lorsqu'une voix paniquée la fait sursauter : « J'ai besoin d'aide. ». Elle se retourne brusquement et se précipite sans réfléchir vers la jeune femme, laissant tomber ses courses sur le sol. Quel que peu désemparée, elle constate que la jeune femme tient à peine sur ses jambes. Elle soutient alors son corps frêle, passant son bras sous l'aisselle gauche de la pauvre inconnue, l'enserrant dans le dos. Vous allez bien ? Que s'est-il passé?

Heureusement pour elle une femme vient l'aider. « Vous allez bien ? Que s'est-il passé? » C'est une bien longue histoire et de toute façon elle ne peut rien lui dire, question de survie. Rahma se contente de s'appuyer sur cette femme, il faut agir vite. « Pas du tout, je dois aller à l'hôpital. » Elle a du mal à parler, il faut qu'elle se concentre pour oublier la douleur si elle ne veut pas finir ses jours dans une station d'essence. « Si je vous racontais ce qu'il m'est arrivée vous n'en croirait pas vos oreilles et puis il vaut mieux que vous ne sachiez rien. » Un gémissement soudain sort de sa bouche. « S'il vous plaît, emmenez-moi juste à l'hôpital, si vous voulez des explications je vous les fournirais mais je vous prie ... Je ne veux pas mourir … » Elle est désespérée.

Elle oublie son humeur massacrante de ces derniers jours, ses tendances suicidaires et laisse tomber pour quelques minutes ses pensées égoïstes pour revenir à ses instincts premiers : aider autrui. Elle reconnait bien là la Jillian qu'elle était refaire surface. Elle est née pour aider son prochain, et c'est pour cela qu'elle était avocate. Mais c'était dans une autre vie. Sans se poser de question, elle supporte la jeune femme vers sa voiture, cet espèce de tacot bleu immonde, et l'écoute parler, ses mots entrecoupés par des gémissements. Jillian, ou plutôt Charlotte comme il faut l'appeler désormais -elle n'arrive pas à s'y faire- ne prend même pas le temps d'essayer de comprendre où la jeune femme a mal, ce qui a bien pu se passer, elle se contente simplement de l'installer sur le siège avant de sa voiture avant de se glisser derrière le volant et de démarrer en trombe direction l'hôpital. Elle prononce quelques mots, afin de pouvoir être plus utile : Est ce que vous vous souvenez de votre prénom? D'où vous venez? Même si elle semblait parfaitement lucide, on ne sait jamais.
Ses mains se crispent soudainement sur son volant. Et si c'était un stratagème ? Si ils l'avaient retrouvée, jusqu'ici, et sachant pertinemment qu'elle ne laisserait pas quelqu'un dans le besoin aurait simulé tout ceci. Elle se met à respirer très fort. Elle ne veut pas mourir. Pourtant elle ne s'arrête pas.

La jeune femme se laisse donc conduire dans la voiture de la femme qui essaye de l'aider. Rahma est à bout de force, elle arrive à peine à marcher. La blonde la place sur le siège avant comme on le ferait avec une enfant fatiguée et Rahma ne peut pas s'empêcher de s'étonner de son attitude. Cette femme aurait très bien pu appeler une ambulance, continuer ses courses et partir, mais non elle se résignait à l'aider, elle devait surement être une bonne personne. « Est ce que vous vous souvenez de votre prénom? D'où vous venez? » La jeune femme met un peu de temps à répondre à la question, car ce matin elle avait une autre identité et maintenant elle se nomme Rahma, un prénom qui lui va bien mieux vu que c'est celui de sa mère. « Je suis Rahma. Je viens de Palestine. » C'est vrai, bien vrai et elle ne ment pas. « Pourquoi ? » Murmure-t-elle doucement, elle n'a pas encore regardé sa nouvelle carte d'identité, ni les informations que Johnny lui a fournies et là tout de suite elle n'a pas la force de chercher le sac qu'elle a placé sous ses vêtements. « Ça n'a plus d'importance à présent, je vais devoir commencer une nouvelle vie dans cette petite ville. »

Elle est prise d'une bouffée de panique, probablement irrationnelle. Si la police l'a envoyée ici c'est qu'elle doit être en sécurité, non ? C'est qu'il ne pourront pas la trouver. Mais c'est plus fort qu'elle, la peur plane sur son quotidien depuis ce jour noir. « Je suis Rahma. Je viens de Palestine. Pourquoi? » Elle quitte les yeux de la route l'espace de quelques secondes pour répondre à la jeune femme. Rahma, donc. Je vérifie juste que vous êtes lucide et que vous n'avez pas perdu la mémoire. Elle garde son calme. Elle a été formée aux premiers secours durant ses études et sait quoi faire. Esquissant un léger sourire, elle se présente à son tour, non sans avoir pris quelques micro-secondes de réflexion pour donner le bon prénom : Je suis Charlotte. « Ça n'a plus d'importance à présent, je vais devoir commencer une nouvelle vie dans cette petite ville. » La vie lui fait un pied de nez. Voici, dans la même voiture, une autre personne dans son cas. Elle ne peut s'empêcher de dire, révélant certes un peu sa situation : Si vous recommencez à zéro, il est très imprudent de dire votre vrai prénom... Vous ne savez pas qui je suis après tout... Oui, elle a bien été brieffée.

« Je vérifie juste que vous êtes lucide et que vous n'avez pas perdu la mémoire. » Elle est lucide, ça ne lui fait pas assez mal pour qu'elle commence à délirer et puis elle n'a pas reçu de coups très violents. De toute façon Rahma est résistante et même si elle souffre elle ne se plaint pas, question de fierté d'après elle. « Je me souviens exactement de tout ce que j'ai fait dans ma vie, pas d'inquiétudes à ce niveau-là. » Dit-elle plus doucement encore à cause de la douleur. « Je suis Charlotte. » Répond la blonde après que Rahma se soit présentée. « Si vous recommencez à zéro, il est très imprudent de dire votre vrai prénom... Vous ne savez pas qui je suis après tout... » Un mince sourire maquille son visage. « Peut-être que je mens ... Je suis quand même une femme louche et blessée débarquant dans une station à essence … » Elle avait plusieurs prénoms de toute façon mais sur sa nouvelle carte d'identité c'était Rahma. « C'est plus compliqué que ça de toute manière. » En tout cela devait être la troisième fois qu'elle changeait de prénom. « C'est loin l'hôpital ? »

Jillian -Non, Charlotte, décidément elle ne parvient pas à s'y faire - est rassurée par la lucidité qui apparaît dans le discours de la blessée, elle se dit qu'au moins elle ne retrouvera pas avec quelqu'un dans le coma sur les bras. Elle ne répond pas quand Rahma lui dit qu'elle est louche... Elle se mord la lèvre, se sentant quelque part coupable de l'avoir pensé, ne serait-ce que l'espace de quelques minutes. Paranoia. En plus de tout le reste, il lui auront enlevé cette chose jusqu'alors naturelle en elle, cette caractéristique qui la qualifiait si bien. La confiance qu'elle accordait en l'autre. Non seulement elle avait foi en son prochain, mais elle l'aimait aveuglément et sans rien demander en retour. Il fut un temps, qui, hélas, est désormais révolu. La haine qu'elle nourrit désormais envers ces hommes, si ils sont encore appelés hommes, croit de jour en jour dans son coeur noirci. « C'est loin l'hôpital ? » Ces mots la tirent de ses pensées et répond, quelque peu confuse : Je ne sais pas... Je sais que c'est par là, mais vous savez, je ne suis là que depuis quatre jour... Je vous promet qu'on trouvera. Elle regrette son manque d'information, mais n'y peut rien. Elle fait ce qu'elle peut et c'est déjà bien, non ? Elle finit par ajouter : Vous avez mal où?

« Je ne sais pas... Je sais que c'est par là, mais vous savez, je ne suis là que depuis quatre jour... Je vous promet qu'on trouvera. » Peut-être qu’elle est dans le même cas qu’elle, elle doit fuir pour survivre. « Vous avez mal où? » Un peu partout, c’est mentalement et physiquement qu’elle souffre. « Partout, j’ai juste utilisé de la morphine pour certaines douleurs, alors je sens plus mon bras. » Explique-t-elle sans indiquer le bras qui la fait souffrir, elle a des seringues dans son sac et pleins d'autres trucs du genre, elle a bien fait de les avoir emmenés. «  J’ai l’habitude de souffrir mais là c’est vraiment horrible, je crois que je suis en train de mourir dans votre voiture … »

Vagues. Des réponses vagues, c'est tout ce à quoi elle a le droit. Elle ne s'en formalise que peu. Après tout, elle s'en fiche un peu. Sa mission, qu'elle a accepté sans se poser de question, est d'amener Rahma à l'hopital. Et c'est tout. Le reste demeure secondaire. Elle se concentre donc sur la route, essayant de trouver la bonne route pour atteindre sa destination. « J’ai l’habitude de souffrir mais là c’est vraiment horrible, je crois que je suis en train de mourir dans votre voiture … » Elle tourne la tête vers la jeune femme, la regarde droit dans les yeux l'espace de quelques instants, ralentissant, et dis d'une voix dure et tranchante : Personne ne meurt aujourd'hui. Pas dans ma voiture, sous ma responsabilité. Compris ?

Elle abandonne ? Non. C’est la douleur qui parle à sa place, elle a tellement mal qu’elle aurait presque envie de hurler, mais elle se retient, il faut qu’elle reste calme et une conductrice ne peut pas rouler correctement si la passagère se met à crier, elle a besoin de concentration. Rahma pense à pleins de choses en même temps, il faut qu’elle reste consciente, elle n’a pas fait tout ce chemin pour mourir ici. « Personne ne meurt aujourd'hui. Pas dans ma voiture, sous ma responsabilité. Compris ? » Lui dit la femme d’une voix dure en regardant bien la jeune femme dans les yeux, Rahma acquiesce, elle est presque comme une enfant et elle doit se contenter d’obéir. « Ok … » Elle respire. « Je meurs pas, je meurs pas, je ne mourrai pas. » Elle lutte pour que ses yeux ne se ferment pas. « Vous êtes vraiment ... gentille … » Parler de tout et n’importe quoi, c’est le meilleur moyen pour ne pas défaillir …

La jeune femme semble finalement comprendre et accepter les "ordres" de Charlotte. Celle-ci, regardant à nouveau la route, laisse apparaître un léger sourire satisfait. « Vous êtes vraiment ... gentille … » Elle hésite quelques secondes. Répondre ou pas? Est-ce nécessaire? Elle finit tout de même par dire, pour ne pas laisser l'habitacle retomber dans un silence de plomb : Ne vous en faites pas... Elle aperçoit ensuite, au loin, la grande bâtisse blanche qui se dresse à sa gauche. Regardez, on arrive ! Elle gare la voiture non loin de l'imposante porte de verre et fait le tour du tacot pour aider Rahma à en sortir. La remettant sur pied, elle demande : Vous voulez que je vienne avec vous, ou ça va aller ?