Ce trajet interminable jusqu’à atteindre le magnifique paysage qu’est Banff ne m’a heureusement pas découragée de mon but, puisque je suis ici, j’y suis arrivée, et ce malgré ces heures passés dans les gares et sur les sièges inconfortables de ces autobus  voyageurs qui passaient de village en village. Un taxi m’a finalement déposé face à la devanture de l’hôtel où j’avais préalablement réservé une chambre. Beaucoup trop tôt. Bien avant mon heure. Mes valises au bout de mes bras, je n’ai pas le loisir de pouvoir les abandonner pour me balader ici et là, au gré de mes envies. Je me réfugie dans l’attente, assise dans ce lobby silencieux, meublés par les quelques coups de téléphones que la réceptionniste reçoit, de temps en temps. J’étouffe un bâillement. Le temps est long. Trop long.

La moto se gare devant l'hôtel, il pousse un soupire en regardant le tout avant de faire une petite moue, il s'étire et retire son casque avant de remettre ses cheveux en place, lui donnant un air un peu sauvage. Sa combinaison en cuir lui donne chaud, il faut l'admettre. il se lèche les lèvres et regarde un peu autour de lui, Banff est une ville magnifique, un endroit agréable pour poser ses valises quelques temps. Il descend de sa bécane et fixe l'antivol avant de prendre son second sac rangé bien tranquillement dans le porte-bagage. Il entre dans le hall et regarde la réceptionniste avant d'aller la voir, il voudrait une chambre, heureusement, il en reste de libre, mais elle ne sera pas prête avant une bonne heure. Pas grave. Il prend sa bouteille d'eau dans son sac et un paquet de bonbons lunaires aux fruits qu'il a acheté dans une ville à deux heures d'ici. Il remarque enfin la jolie brune dans le lobby et rougit faiblement avant de se poser à un siège d'elle, mettant tout son bazar à ses côtés. Au bout de deux minutes, il finit par lui tendre le paquet, lançant d'une voix assez douce et fluette "Si vous en voulez... prenez...", accompagné d'un petit sourire des plus timides, tout en ajoutant à cela un accent coréen plutôt prononcé malgré un bon anglais. Après tout, quitte à attendre, autant partager.

Les pages du roman qui traine entre mes mains tournent à un rythme régulier, mais il y a un bon moment, déjà, que mes yeux ne suivent plus les lignes qui s’étalent devant lui. Mon âme divague à vent et marée, perdue dans le néant de mes pensées. Je suis loin, loin d’ici. Ce sont des bruits, des pas, puis des voix, qui me ramènent à cet endroit, dans ce présent que j’ai momentanément abandonné. Juste à temps pour retrouver ce silence que j’apprends doucement à apprivoiser. Silence qui m’est à la fois lourd et désagréable, mais qui reste un échappatoire, un exutoire. À quelques pas s’est installé un nouveau venu, tout de cuir vêtu. Son attirail me laisse croire que sa moto fait assurément partie de ces bagages. Il collationne d’un paquet de bonbons, et j’ignore si c’est parce qu’il remarque mon regard en sa direction, mais il me tend le sachet, m’invitant à m’en prendre quelques-uns. « Euh… c’est gentil… merci. » La bonté des inconnus me surprendra toujours. L’un de mes doigts se referma dans le livre que je tenais, libérant l’une de mes mains qui allait cueillir deux petites friandises que je glissais dans ma bouche. J’étais affamée, mais trop lasse pour aller me chercher à manger. « Vous arrivez d’où? » lui demandais-je, à la dérobée.

Elle semble étonnée, il garde le bras tendu pour qu’elle puisse attraper les friandises sans souci. Lorsque c’est le cas, il ramène le paquet vers lui, le posant dans le creux de ses cuisses alors qu’il vient de croiser ses jambes, bougeant nerveusement le pied dans sa grosse boot. « De rien. » Il remarque alors ses yeux bleus océans, les trouvant ravissants. Sûrement plus attrayant que les siens qui paraissent presque noirs, accentuant un peu plus cet air d’animal sauvage qu’on lui prête souvent. Il prend des framboises et les croque avant de prendre des pêches et de leurs faire le même sort. « Hmm ? Oh, euh, d’un peu partout mais là je viens de Calgary. » Il hoche la tête comme pour appuyer ses propres mots. « Et vous ? » Il met finalement le sachet sur la chaise entre eux pour qu’elle puisse en reprendre sans avoir à lui demander, puis il fourre ses mains dans ses poches, secouant nonchalamment sa tête pour remettre un peu ses cheveux en place, sans succès, il a surtout besoin d’une bonne douche après la longue route. « Je m’appelle Taeho. » Il lui tend une main, on lui a appris à se présenter comme ça en Europe après tout. Il essaye surtout de vaincre sa timidité maladive, essayant de communiqué malgré sa voix douce et fluette qui ne se cale pas vraiment sur son physique ténébreux.

Ps : Taeho se dit comme Théo ^^

Je suis surprise, de prime abord, car je n’ai pas l’habitude que les inconnus m’abordent. Je ne fais pas confiance facilement aux gens, pour des raisons bien précises, et qu’on vienne vers moi de la sorte m’effraie toujours un peu. Toutefois, on m’a bien élevée, et ces friandises me font envie – ce que mon estomac cri famine depuis au moins deux bonnes heures. Je me sers donc une petite poignée des bonbons qu’il me tend, n’oubliant surtout pas de le remercier pour cette gentillesse. Je m’enquiers même de sa provenance, car je préfère bavarder avec ce dernier plutôt que de replonger de ce silence qui me pèse. Il me retourne la question. « D’Alaska, de Anchorage, plus précisément. » La ville où il ne fait jamais bien chaud, mais toujours très beau, avec vue sur le Pacifique en prime. L’endroit est magnifique, mais ces splendeurs ne m’émerveillent plus depuis un moment, déjà. J’espère que lors de mon retour, un jour, mes yeux brilleront comme avant. Le sac de confiseries est déposé entre nos deux sièges, je me demande s’il le fait délibérément, et n’ose surtout pas me resservir une autre fois : j’ai trop abusé de sa générosité. Il me tend la main, se présente comme étant Taeho. J’hésite un instant avant de faire rencontrer nos deux extrémités, un sourire gêné au bout des lèvres. « Liloo. » Diminutif de Marilou, prénom que j’ai volontairement mis de côté. Il me rappelle trop mon ancienne vie.

« Alaska ? Oh… alors moi je viens de Corée du Sud… Pardon j’ai encore, un peu de mal à bien comprendre le sens des questions. » Il rougissait en souriant, tripotant en même temps ses cheveux plus vraiment coiffés d’ailleurs. Ils enchaînèrent avec les présentations basiques, les prénoms surtout, c’était poli de savoir comment l’autre s’appelait quand on discutait. Il n’allait par contre pas lui demander son âge, elle semblait plus âgée que lui et en Corée, on ne demandait pas vraiment l’âge des plus vieux (encore moins quand c’était une femme). Il fit une petite moue en entendant son prénom avait de sourire. « Liloo… » Il attrapa un calepin avec des dessins dans son sac. « C’est beau, en Corée, on écrirait comme ça. » Il écrivit rapidement le petit prénom et lui montra : 리로. Il ne savait pas vraiment pourquoi il parlait de ça, ni pourquoi il lui montrait à vrai dire. Il était un solitaire d’ordinaire et s’ouvrait peu aux gens, mais il savait que le temps allait être long jusqu’à obtenir une chambre… Et que ne pas se parler aller donner une ambiance lourde. Il avait néanmoins un regard assez fuyant. Il décroisa ses jambes pour les croiser à nouveau et poussa le paquet de bonbons vers elle. « Prenez hein… y’en a plein…. » Il se demandait bien si l’hôtel avait un restaurant ou un room service, à vrai dire, il n’avait pas lu grand-chose à son sujet, c’était encore trop nouveau pour lui et la route avait été longue.

L’endroit d’où je venais et l’endroit d’où j’étais native était, pour moi, le même. Je n’étais jamais vraiment sortie de mon Alaska natal, cet arrêt que je faisais aujourd’hui à Banff serait probablement le premier et le dernier de toute mon existence. Autre peut-être que celui qui me ramènerait chez moi, un jour prochain. Du moins, je l’espérais. Mon voisin semblait s’être mépris de la question et s’excusait de sa mauvaise compréhension, rougissant, vu le léger malaise. « Vous… vous aviez très bien compris, c’est que… outre que cet endroit, je n’ai rien visité d’autres. Au contraire de vous. » Il semblait avoir vu de bien nombreuses routes, bien plus que je n’en verrais jamais moi-même. Je poussais un léger soupir, pour moi-même bien plus que pour les autres. Le voyage m’avait rendue lasse. Je le regardais griffonner sur un papier quelque chose qu’il ne tarda pas à me montrer : mon prénom, dans une écriture plus qu’étrangère. « C’est joli. » La calligraphie, ça m’impressionnait toujours.  Ces caractères coréens avaient été dessinés par une main habile. « Je… je peux garder ? » Pas le calepin, mais la petite feuille où ces quelques caractères avaient été inscrits, ça suffirait.  Peut-être n’aurait jamais la chance de revoir mon prénom écrit de cette façon. À nouveau, il tendit le sachet de bonbons vers moi, m’offrant d’en prendre autant que je le désirais. « Je m’en veux de vous voler votre goûtée… » Même si ces bonbons me faisaient envie, je ne souhaitais pas m’accaparer la totalité de ce que contenait le sac.