MUSIQUE

C'est triste ici, toi t'arrives au hasard sans trop le vouloir, sans vraiment pas le vouloir et tu chamboules tout sur ton passage, tu viens mettre du bruit là où on fait silence pour les malades et les blessés. En un sens tu apportes de la gaieté.
Mais tu fais un peu chier.
Aussi.
Et puis comme si ça suffisait pas, de bousculer les médecins, de te cogner dans les distributeurs de sucre, de siffler Vivaldi, tu te mets à courir. Les semelles de tes baskets claquent par terre, un bruit à faire danser les morts.
Bruit de vie.
Dans ta course solitaire tu croises une main qui traîne, tu la tires vers toi, tu entraînes avec toi
- Viens vite !
Il y a une urgence dans ton cœur.
Et ensembles vous décollez comme une fusée. Vous partez pour un Grand Voyage. Destination le bout du couloir. Un peu de vie dans l'hôpital qui supporte un peu trop de mort(s).
Vous courez à vous en démonter le corps.
À laisser des bouts de vous partout sur votre passage, derrière, mais tant pis, tant mieux car là où vous allez vous en trouverez de nouveaux.
Tu fais le cri de l'oiseau, quoique t'as jamais entendu un oiseau crier, peut-être que ça fait pas de bruit un oiseau, ça existe les choses silencieuses, tu devrais essayer au moins un jour sur deux.
Ça te ferait du bien.
Ça nous ferait du bien.
Le couloir se meurt et pivote vers un ascenseur, alors c'est la fin de votre course. Ici vous êtes un peu seuls et toi tu respires un peu fort, à cause de la course.
Tu souris aussi.
- Comment tu t'appelles ? Tu veux bien qu'on soit amis ? Tu veux aller frôler les étoiles avec moi ? Tu veux qu'on invente des choses folles ? J'te jure que tu me découvriras une douceur que tu soupçonnais pas sur moi et puis on s'aimera jusqu'au bout du monde. Allez.

T'étais debout, à traîner ici, là. Tu ne bougeais pas. Qu'est-ce que tu pouvais faire ? Tu venais de perdre tous tes repères.
Et puis, cette main avait saisi la tienne. Tu n'avais rien dit. Qu'est-ce que ça aurait changé ? Il ne t'avait pas demandé, ton avis, rien. Tu te contentas de le suivre. Depuis que tu étais petite, tu suivais le mouvement. Ta sœur, tes parents. Tu suivais les ordres, aussi. Les règles, les autres. C'était comme si, à cet instant, on te disait que tu n'avais plus à te poser des questions. C'était comme si on t'éloignait de ton monde, et qu'un souffle parcourait ton échine. Un nouvel air. Bel air. Tu courais, dans ce couloir, ce long couloir qui laissait dans ta bouche un goût bizarre. Tu courais avec cet inconnu, t'essoufflais, l'écoutais. Une vague de liberté te berçait. Tu crois que t'aimais bien, finalement. Tu crois que ça te plaisait d'être tirée vers un univers que tu ne connaîtrais pas. Tu avais toujours aimé les surprises. Quand t'étais petite, Noël, c'était la fête que tu préférais. Parce que tu ouvrais des cadeaux, des surprises, tu ouvrais la magie qu'il manquait alors à ta vie d'images et d'apparences, à ta vie un peu naïve, un peu crédule. Ta vie devenait découvertes, elle était jolie.
Il s'arrêta, près de l'ascenseur. Tu repris tes esprits, et tes pensées, alors, n'existaient plus. Tu le regardais, ses yeux, son sourire. Tu entendis sa voix à nouveau, mais, cette fois, c'était pour que tu y mêles la tienne. « Tinsley, je m'appelle Tinsley, dis-tu dans un profond soupir. » Tu répondais au reste par un sourire, parce qu'au final, c'était la réponse que tu faisais le mieux, le sourire.

Tu sais comme un truc. Comme une rencontre sous la bonne étoile. Comme un double de toi, mais un double complètement à l'opposé. Une handicapée de la vie comme toi qui est un peu à la ramasse, qui traîne derrière le reste du troupeau.
C'est pas ça ?
Toi tu t'accroches à ton vacarme, tes mots criés, ton vacarme de corps vivant.
Et elle, on dirait que c'est son sourire, on dirait qu'elle n'a que ça sur elle, pour vivre, son sourire.
Elle s'appelle Tinsley, elle dit.
Tinsley, c'est dur pour toi, ça, c'est dur, canadien sûrement, américain au pire. Tu sais pas comment le dire, comment t'y prendre avec ce nom-là, alors tu le dis - ouf, tu te tais.
Après tu tombes un peu sur le mur et t'en profites pour t'assoir contre lui, bien sûr t'entraînes Tinsley dans ta chute, parce que vous avez convenu, dans tous tes mots et dans son sourire, que c'était comme ça, maintenant, vous deux, main dans la main, dans chaque chute.
Non ?
C'est pas souvent que tu t'assois, que tu te poses, que tu te calmes, t'as la bougeotte, des fourmis dans les fesses, t'es insupportable.
- Pourquoi tu souris ? Il veut dire quoi ton sourire ? Est-ce que c'est tout c'que tu sais faire ? Est-ce que tu caches le reste ?