Douleur assourdissante. Mal lancinant.
Je fermai les yeux, inspirai profondément. C'était comme une danse, une valse violente. Autour de moi n'existait que le vide. Le gargouillis des oiseaux, le rire des enfants, l'animation des discussions. Je marchais, éloigné de cette réalité, de ma réalité. Les mains dans les poches de mon jean troué, je me frayais un chemin parmi la foule. Parmi un monde. Dans mon état normal - où était la norme, cependant ? -, j'aurais offert une fleur à cette jolie jeune femme. Je lui aurais conté une belle histoire, l'aurais raccompagné. Et j'aurais parlé, avec cet homme assis sur le banc. J'aurais lu le gros titre de son journal, et me le serais approprié comme sujet de conversation. On aurait échangé, longtemps. Il aurait posé ses lunettes - est-ce bien des lunettes à quelques mètres de lui ? -; j'aurais chaussé les miennes. À l'évidence, je n'étais pas dans mon état normal.
J'étais faible. Un être chétif qui, à cet instant, craignait le bruit des moteurs et celui, moins fort, de mon vibreur. Je n'avais jamais supporté la passivité. L'action était ma force, ce pour quoi j'existais.
Fatigué, lassé alors, je poussai mollement les portes de la pharmacie. Je devais attendre. Derrière ces visages souriants, un peu blêmes, un peu pâle. J'avais besoin d'avaler un médicament.
Et je devais attendre.
Mes yeux se posèrent sur les étagères, où les boîtes de cachets d'aspirine y étaient rangées, triées.
J'avais soif. Je n'avais pas faim. Je me retins contre un mur, pris de vertige, d'étourdissement. De température. C'était peut-être le voyage. C'était peut-être un message.
J'essayais de demander à ceux qui étaient devant.
- Vous êtes pressé ? Vous m'autoriseriez à passer ?
La migraine était plus forte que ma raison. Dans mon état normal, j'aurais gardé le silence. J'aurais gardé de ma prestance.
Dans mon état normal.

Comme chaque fille ayant déjà eu des rapports intimes avec un homme, tu as besoin de te protéger. Non pas te protéger d’une maladie sexuellement transmissible mais te protéger pour ne pas voir un embryon prendre naissance au sein de ton utérus. Alors oui comme chaque femme, tu te dois te prendre cette pilule. Malheureusement pout toi, tu viens de terminer ta dernière plaquette, alors tu te dois d’aller à la pharmacie pour aller en récupérer, une nouvelle boite, avec de nouvelles plaquettes. Tu te pointe donc à cette pharmacie, la queue est longue, trop longue. Mais tu le vois ce type qui ne semble pas tenir sur ses deux jambes, tu le vois tanguer de gauche à droite, tu te rapproche de lui, ton côté héroïque prends une nouvelle fois le dessus, tu ne peux le contrôler alors que pourtant tu te rappelle de ce moment à la plage avec cette folle et s’est mouvement de jambe digne d’un canard en plein expédition sous marine. Arrivé à sa hauteur tu passe son bras sur ton épaule. « Poussez-vous ! Au secours ! Mon frère ne se sent pas bien et je ne sais pas quoi faire ! » Tu joues bien, tu mens bien, à se demander presque s’il ne s’agit pas d’une seconde nature chez toi. Les gens se tournent vers vous, affichant tous une mine terrorisée sur le visage, si bien qu'ils finissent par vous laissez accéder à la jolie pharmacienne au visage d'ange.

L'attente était interminable. J'aurais parié sur un oubli d'ordonnance, une carte refusée ou de fastidieuses explications à donner. J'aurais compté les secondes, les minutes, qui me séparaient de ma douce délivrance. J'aurais soufflé, soupiré, toussé.
Et puis, cette jolie rousse est arrivée. Sa petite folie dans les yeux, son sourire enfantin. Je l'ai senti, le bras qu'elle glissait sur son épaule. Je l'aurais retiré, me serais tiré. Mais elle avait compris, qu'il n'y avait rien à faire, que je ne tenais pas.
Je m'abandonnais sous son emprise. Je la laissais guider mes pas. Elle, forçait le passage. Elle parlait un peu fort, feignait la panique. J'aurais ri, ri fort, aussi. Déjà cependant, la pharmacienne me dévisageait. Son regard pesait sur moi, me détaillait. Elle devait attendre que je lui tende un papier signé du médecin. Je n'aimais pas les médecins, n'en avais d'ailleurs jamais eu un.
- Excusez-moi. Vous auriez quelque chose contre la migraine ? Un ou deux comprimés que je prendrais maintenant. C'était concis.
L'employée sursauta timidement avant de tourner les talons, reportant son attention sur les différents rayons. Sûrement réfléchissait-elle au remède qui serait le plus efficace.
Je regardai l'inconnue à mes côtés. Bas, je lui dis :
- Je suis flatté de te ressembler, petite soeur.

A l’entente de sa demande tu ne peux t’empêcher d’esquisser un sourire, se sentir aussi mal pour une simple migraine c’est quelque peu ironique. Mais bon chacun gère la douleur comme il le peut et il est bien connu que les hommes sont moins résistants à celle-ci. Tu vois l’employée qui sursaute, elle aussi te fait sourire, elle semble jeune donc forcément nouvelle et ne doit par conséquent ne pas connaître la procédure à mettre en œuvre dans un cas comme celui que représente cet homme qui prend appui sur mon épaule. Soudain tu l’entends sa voix grave, venir te susurrer. « Je suis flatté de te ressembler, petite sœur. » Tu tourne ton visage vers le sien, tu ne l’avais pas vu tout à l’heure mais tu te rends compte à présent, malgré son apparente pâleur, qu’il tout à fait charmant. Tu lui souris, ne sachant pas trop quoi répondre. « Tous le plaisir est pour moi grand-frère » Tu emplois ce même ton que lui, bas à peine audible pour les autres. La jolie tête blonde revient des rayons, pose face à l’homme deux comprimés avec un verre d’eau.