gaïa. grande gaïa.
g-a-ï-a.
tu as mis au monde les dieux. et ça t’as ouvert l’appétit. mais t'es une déesse fauchée. et le fast-food est ton olympe. le burger ton ambroisie. le coca ton hydromel. tu as tellement faim que tu manges comme un titan. tu t'enfiles des frites comme une pute s'enfile des clients. tu bouffes pour deux. quatre. cinquante. c'est à se demander si ta bouche n’est pas pas un trou noir. tout disparaît dans les abysses de ta gueule béante.
g-a-i-tréma-a.
la déesse mère.
descendue du ciel.
pour bouffer un burger.

j'ai mal au coeur.
j'ai mal à la tête.
j'ai mal au ventre. et puis j'ai mal partout je crois.
il m'a dit, je suis désolé, c'est terminé, tu mérites mieux.
je ne mérite pas mieux. je ne mérite rien.
j'ai honte. alors je vais manger. la ballerine, elle a l'air conne, à trop bouffer.
mais c'est pas grave, c'est pas grave. les doigts dans la gorge, je me remettrais à valser.
je me remettrais à danser comme avant, comme entre ses bras, à ce petit con, à ce grand spectre. qui me bouffe, qui me bouffe jusqu'à n'en laisser que les os.
"dis, y'a plus de place, j'peux m'installer?" je demande du bout des lèvres. moi aussi j'ai faim.
à bouffer un dauphin. d'ailleurs, je crois que ça se mange pas.
mais on me dit souvent que je crois mal.
alors j'arrête de croire. de penser. j'ai pas encore réussi à ne plus exister. mais promis, promis je vais essayer.
et un jour, je jure, je réussirais. je vous boufferais plus l'existence. je ne gâcherais plus le paysage.
je suis désolée. vraiment. sincèrement.

L'impression de voir que des filles depuis que je suis arrivé. J'ai oublié ce que ça fait d'être amoureux. J'ai même plus rien dans mes souvenirs. C'est parti avec la boue, avec les coups et avec tous ces couillons. Quand je regarde une fille maintenant je sais même pas par où commencer, les seins ou les mains ? Les yeux immenses de cette fille ou les cheveux de celle qui est assise en face d'elle ? Le pire c'est que j'aurais même pas le temps de réapprendre, que faudra déjà y retourner.
Deux mois.
Deux mois.
Deux mois.
Deux moi(s).
J'peux au moins me faire un burger avec deux blondes.
- C'est bondé ici putain.

ton burger divin prit entre tes petites mains. tu croques dedans à pleines dents. tu sais pas pourquoi, t'as faim. comme si t'avais pas bouffé depuis une semaine. un mois. un an. mais ça fait seulement trois jours. trois jours de voyage où ton ventre n'a pas cessé d'agoniser. maintenant qu't'es là t'en profite.
en plus t'as un jouet.
t'es trop occupé à t'empiffrer que tu remarques pas que l'endroit est bondé. donc quand une blondinette vient te demander si elle peut s'installer, tu comprends pas trop. tes yeux passent de la fille aux gens, des gens à la fille. puis tu lui souris, un peu de ketchup sur le bord des lèvres.
- bien sûr. installes-toi.
tu sais pas trop si t'es contente d'avoir de la compagnie. une dame a pas arrêté de te parler dans le bus. elle racontait des histoires étranges. et toi t'as pu le goût de parler. alors tu manges des frites et tu souris.
malaise.
et un mec se pointe. tu le regardes. y'a de l'air d'une statue grecque. tu lui indiques qu'il peut s'asseoir sans rien dire, mâchouillant ta dernière frite. déjà.
et t'as encore faim.

elle me dit que c'est bon, je peux m'asseoir.
alors je le fais. je me laisse tomber sur le siège.
je n'ai plus rien d'une plume. je suis lourde.
lourde et laide et j'ai envie de manger pour oublier ça comme il faut.
puis la jolie blonde au ketchup, elle me donne envie. avec ses frites et son hamburger. j'en veux aussi. je baisse les yeux vers mon repas.
ça suffira pas pour étouffer ma peine. et puis, j'ai plus d'argent. j'ai mal au ventre avant même d'avoir manger.
la jolie poupée rouge et moi, on ne parle pas. on se lance des sourires hésitants et c'est tout. j'aurais aimé lui dire que j'aime beaucoup ses yeux. qu'on y voit la mer et l'orage. que je ne sais pas ce que c'est l'anthracite mais que pour écrire un poème sur son regard, je serais capable d'ouvrir un dico.
alors que franchement, je déteste les dicos.
j'approche mes doigts tout propre du sandwich quand j'entends une voix masculine. je souris.
avant, je n'avais pas le droit de parler au garçon. la poupée anthracite -elle n'est plus rouge, ma jolie poupée en papier glacé.- lui fait signe de s'asseoir. je me décale pour laisser de la place. et je plonge mes doigts dans la boîte des frites. j'ai l'estomac plein d'espoir sans lendemain.
si je mange, je pourrais peut-être les faire sortir par ma bouche, pour créer des jolis mots, des jolies chansons et peut-être, pour une fois, ressembler à quelqu'un d'intelligent.
mais les mots restent coincés dans ma gorge.
alors je mange.
"ils ont dû se dire que c'était un bon jour pour manger fast-food, les gens."

Ça pue la frite ici mais à cette table y a autre chose, ces filles, on dirait deux poupées mais que plus personne a envie de regarder alors, elles viennent bouffer des frites. Je sais pas si elles sont jolies. Moi, un jour j'ai donné mon cœur à une fille et je sais pas ce qu'elle en fait. Peut-être à la poubelle. Peut-être rien. J'en ai pas eu beaucoup des amoureuses, je me souviens toutes de leurs prénoms. Je me souviens surtout d'elle. Elle me donnait l'impression de pas être trop con, elle m'a larguée la veille du bac, je l'ai raté et je suis entrée dans l'armée et là,
là je suis vraiment devenu con.
Là, j'ai perdu tout ce qu'il y avait de Clara en moi.
(C'était ça son nom, Clara. Un truc de poèmes.)
Y en a une qui parle, je hausse les épaules. J'en sais rien moi. Les gens je les comprends pas. Je crois qu'elle essaie de faire la conversation.
Mais elle se rend pas compte que si on la mélangeait à l'autre fille, ça ressemblerait beaucoup beaucoup à Clara.
- Vous êtes sœurs ?
Je les montre d'une frite.

tu n'as plus de frites. tes doigts sentent l'huile et goûtent le sel. des petites frites au bout de petites mains. tu aurais envie de les croquer, de les déguster, de les savourer. tu serais prête à te manger la main et de remonter jusqu'à ton épaule. mais il n'y a rien à dévorer. que de la peau sur des os.
la déesse sac d'os.
la fille essaie de faire la conversation. tu croques dans ton burger. tu sais pas quoi répondre. t'aimes pas faire la conversation. tu repenses à la dame du bus. te parlant de ses chats. tu recroques dans ton burger. le mec nous regarde et décide de parler. il se demande si la fille et toi vous êtes soeurs. tu te mets à rire. un rire aigüe. nerveux. un rire de souris. à travers tes gloussements tu réussis à échapper quelques mots.
- tu penses ?
ton regard s'arrête sur la fille.
tu vois pas de ressemblance.