Il fait soleil. Le vent souffle, mais la chaleur de l’astre arrive à réchauffer ta peau. Une chaleur qui parcourt comme un frisson, dans un combat acharné avec l’air frai. T’es là sans l’être. L’esprit qui vogue, comme l’air à la surface de l’eau. Qui se déplace comme une onde silencieuse dans l’espace. Silencieux, parce que il n’y a aucun bruit. Pas de bruit artificiel du moins. Juste le murmure de la nature, la mélodie des oiseaux, le sifflement des feuilles qui dansent. C’est bon, plein de saveur, plein de pureté, plein de réalité. Personne ni rien qui dérange. Juste toi, comme ça, l’eau au bout des doigts. Tu peux enfin respirer, enfin te libérer, enfin profiter. Tout oublier et juste embrasser la réalité. Pour sortir du néant, profiter du moment. Fermer les yeux et te laisser porter au rythme de l’eau qui caresse ta peau. Entendre la voix qui te murmure au creux de l’oeil. C’est fini Neo, maintenant la vie c’est ici.

Le cœur qui bat. Boum, boum.
Il avance, un carnet sous le bras. Un regard lointain. Il imagine déjà. Ce qu'il va voir. Ce qu'il va trouver. Ici. Ailleurs. C'est bizarre. C'est étonnant. Doucement, ses pas le guident. L'emmène, ici. Là-bas. Il s'en fout un peu. D'où il va. Parce qu'il n'a qu'une seule envie. Qu'un seul désir. Et, il va l'obtenir. Et, il va le trouver. Ici. Étendue d'eau. Magnifique. Il continue. D'avancer. Le cœur qui bat la chamade. Excité par la perspective de ce qu'il va faire. Oh oui. Il soupire. Inspire une goulée de cet air frais et chaud.

Et doucement, il arrive. Et doucement il voit.
L'eau.
Lui.

Mais, aujourd'hui. Il s'en fiche. De ça. De ce quelqu'un. Parce qu'il a l'esprit fou. L'esprit en ébullition. Alors. Tant pis. Doucement. Les pas glissent, tapent sur le bois. Doucement. Il se laisse tomber. Un peu à ses côtés. De lui. Et pourtant. Il ne dit rien. Retourne juste son carnet et, du fusain dans les doigts. Noirceur sur la peau blanche. Il glisse le premier trait. Comme au hasard et pourtant... Dans cela, il n'y en a aucun. Juste lui. Et elle. Juste lui. Et sa belle.

Même dans la plus pure des liberté, on trouve toujours un forme de captivité. Tu croyais t’échapper, t’envoler, te sauver. L’espace d’un instant tu as imaginé pouvoir embrasser la liberté. Trouver le vide, le silence, un endroit aride. Aride de quoi ? De voix. De gens. Juste le néant. Mais y’a ce bruit de pas qui vient par là. Qui trouble le paisible. Qui torture l’invisible. T’as plus le droit à la solitude que tu quitte amèrement en ouvrant tes yeux pour mettre un visage sur ce mirage. Cette chose qui perturbe. Ce bruit qui détruit. Cette présence oppressante. Ce tout qui te ramène à la réalité et t’arrache à tes rêves. Tu te relève, rejette l’eau, rejette tout. Comme si c’était qu’un mauvais rêve. Mais c’est là et ça s’en va pas. Alors tu décide de t’y intéresser, de ne pas faire que repousser. Il dessine, il assassine. Le blanc, le néant. Il construit, il reproduit. C’est beau, c’est puissant, c’est grand, c’est vivant. « Y’a pas meilleur endroit pour s’exprimer. Pas vrai? » Tu trouble le silence, pour combler ta curiosité. Parce qu’il t’intrigue, toi qui est incapable de t’exprimer. Puis t’es frustré qu’il se soit pas annoncé. Qu’il ai rien prononcé. Qu’il reste sage, comme un mirage. Parce que t’aime le silence de la nature, mais tu redoute celui des gens qui te torture.

Il sursaute.
Un peu. Beaucoup.
Son fusain manquant de tomber. Laisser une trace vilaine sur la feuille blanche devenue noire. Noire de traits. Traits pour une vie. Traits pour un battement de cœur. Oué, c'est comme ça dans la tête de Niels. Boum, boum. Y a que ça. Elle. La douce, la belle. Elle, la peinture, l'art, le dessin. Tout ça et rien à fois. Traits qui ont doucement dessiné, la vie. Doucement dessiné le lac, l'endroit. Ici et ailleurs.

Doucement, il relève la tête. Il l'avait vu. Oui, bien-sûr qu'il l'avait vu. Mais, il n'avait pas fait attention. Mais, il ne l'avait pas regardé. Non. Pas du tout. Alors, quand il le voit. Quand il le regarde. Il sent son cœur se serrer. Ses yeux ne pouvant s'empêcher de le détailler. De glisser ici et là sur son corps. Le redessinant plusieurs fois. Merde. Une pensée incongrue. Merde. Une idée folle. Il serait un parfait modèle. Lui et sa beauté froide. Il sourit, il grimace Niels. Parce qu'il sait pas vraiment sourire. Mais, le fait. Cessant de le détailler. Tournant son regard quelques secondes sur son carnet. Oué, il a pas tort. Le garçon. Pas tort du tout. Niels s'étire. Et pose ses mains dans son dos, pour s'appuyer dessus. Détendu. Un peu bizarre. Un peu stressé. Mais, détendu.

« Mmhm. Oué. J'aime bien ici. » Il fixe droit devant lui. L'eau, les arbres. Le silence. Le calme. Oué, c'est bien ici. « Y a toujours quelques choses de nouveau. Quelque chose de spécial. » Et il peut pas s'empêcher de le regarder, lui. Parce qu'aujourd'hui. C'est lui qui est spécial. Parce qu'ici. Il l'a jamais vu. « Je te dérange pas ? » Il sait pas pourquoi il demande ça. C'est con. Parce qu'en soit, ça fait déjà plusieurs minutes qu'il est là. Déjà plusieurs minutes qu'il s'est permis d'envahir cet endroit.

Un instant étrange. Un regard. Le premier, où on apprend à s’apprivoiser. On cherche désespérément le petit truc qui nous forcera pas à fuir, à tout réduire. A rien, au néant. Un regard, qui s’égare, qui se perd. Tu as peur de l’avoir troublé, de l’avoir froissé comme du papier. D’avoir cassé ce moment, suspendu le temps. D’avoir briser le silence, choqué toute patience. Non, sa langue se délie, enfin. Il n’en est rien, il te reçois comme il se doit. Il aime bien ici, comme toi. Ici, le choix du roi, pour s’y perdre. Pour s’enfoncer dans la volupté. « Ça fait rêver… » Tu laisse un instant ton regard parcourir le paysage, puis tu retrouve son visage, dur, silencieux, mystérieux. Tu reste interdis devant ce qu’il te dit. Déranger ? Oui et non. Parce que même si dans ton égoïsme t’aurais préféré rêver seul, tu veux bien le laisser aller, cet étranger. Tu veux bien partager un peu ce monde, même si l’idée te ronge. « Non bien sûr que non. » Puis il a l’air d’être chez lui mieux que toi. De s’être mieux approprié l’endroit. Toi c’est la première fois que tu t’y risque, la première fois que tu t’y abandonne. Tu le regarde plus, t’as presque honte d’avoir redouté sa présence, d’avoir maudis qu’il trouble le silence. Ce monde n’est pas à toi, tu n’y es pas chez toi. Tu vole seulement le temps, pour rêver et t’échapper. « T’as l’air de venir souvent ici… » Tu le regarde de nouveaux, presque admirateur. « C’est toujours comme ça ? Aussi tranquille ? » Ta main retourne caresser la surface de l’eau qui clapote contre le ponton sous toi. Tu l’envie, de tes yeux tu le dévore de curiosité.  

Le garçon. Étrange. Spécial.
Il est là. A ses côtés. Il est là dans cet endroit. Cet espace si beau. Beau et spécial. Comme lui. Il se sent con Niels. Con d'être à ses côtés. Mais, à la fois si content. De l'avoir rencontré. Lui. Oué, parce que sinon, il en aurait été déçu. En quelque sorte. Déçu comme lorsque ses peintures, ses dessins ne lui ressemblent pas. Comme à l'époque. Dans cette prison. Dans cet enfer. L'école. Oué, ici. Il est libre. Libre avec lui. Libre pour respirer. Libre pour penser. Doucement, il le fixe. Doucement, il l'écoute. Un peu silencieux. Calme. Niels, il sourit pas. Niels, il parle pas trop. Il est pas comme ça. Il sait mieux s'exprimer avec ses mains, ses dessins. Parce que Niels, il voit pas le monde comme les autres. Et, ce garçon. Il le voit pas comme on pourrait le voir. Ce garçon. Il l'imagine. Il le dessine dans sa tête. Et ça le rend dingue. Et ça le rend fou. Mais, il le montre pas. Parce que c'est la première fois que ça fait ça. Parce que c'est la première fois qu'il le voit. Alors, il l'écoute. Il le regarde. Et, il aime ce qu'il entend, ce qu'il voit. Oué, il aime.

Le fusain encore entre ses doigts devenu noir, Niels regarde le jeune homme jouer avec l'eau. Et, soudainement, une envie lui vient en tête alors. A l'aise. Oué, parce que lui, il est pas prude, il est pas trop timide, juste un peu froid. Juste un peu en retrait. Il retire rapidement ses godasses, mettant un peu de noir sur ses pieds avant de les plonger dans l'eau fraiche. Un soupire. C'est bon. Sous cette chaleur. Il regarde au loin. Il le regarde lui. « Hey bah. Oué, c'est toujours comme ça. Et encore, tu verrais l'hiver. C'est encore plus beau. Si calme. Il n'y a ni le bruit de l'eau, ni le bruit des oiseaux. Immaculée nature. » Il se laisse aller. Il parle comme il ne l'aurait pas fait avec quelqu'un d'autre. Mais, il sait Niels. Que le garçon est spécial. Il le sent. « Et oui, j'aime bien venir ici. Et toi ? C'est la première fois ? » Il le détaille, lui grimace un sourire avant que nonchalamment, il recommence à tracer la nature sur son carnet. Beauté perdue. Niels, il voit le beau ou parfois il n'est pas.

Sa main, elle glisse sur sa joue, y laissant une trace de noir. Sa main, elle glisse sur sa joue alors que son regard se perd. Et, tel un murmure, il laisse entendre son prénom. « Niels. »

T’as pas aussi bavard, t’as pas l’habitude de tout ce bazar. De discuter aussi facilement, de te livrer aussi simplement. Mais ici tu n’as rien à cacher, rien à garder secret. Tu peux juste être toi-même, jamais le même. Puis il te donne envie de sortir du silence, ce truc qui te lance.  Alors tu l’écoute, ses paroles comme des gouttes. Magiques, légères, trop éphémères. « C’est beau ce que tu dis » Tu t’accroche à ses mots, à ses lèvres, presque à ses rêves. Tu te laisse porter par le son de sa voix, qui t’emmène rêver au-delà. Le calme… Aucun bruit de vie. Juste la nature, sans fioritures. Le silence, qui porte dans sa romance. Tu ferme les yeux un instant, presque tu le ressent. Ce doux sentiment rassurant. T’as presque déjà hâte d’y être, d’en être. D’y goûter, de t’y abandonner.  Alors tu souris paisiblement, en imaginant cet instant. Dans tes pensés tu t’es perdu un peu loin, alors tu reviens. Vers lui, vers ce qu’il dit. « Oui c’est la première fois que je m’arrache à la ville, j’avais besoin d’espace… » A force de trop étouffer, tu voulais te sauver. Un peu, juste un peu t’envoler. T’aime bien, tu te sent bien. Alors tu te laisser aller, l’eau te caresser, l’eau t’embrasser. Puis sa voix vient de nouveau t’arracher, pour le nommer. Juste son nom. Son nom et rien d’autre. Tu retourne tes yeux sur lui, toujours tu souris. « Neo. » Et tu relâche ton emprise sur l’eau. « Tu as du fusain… Juste là » Tu ris et tu te risque à tendre les doigts. Juste comme ça, tout prêt, mais sans le toucher.

Il s’en rend pas compte de ce qu’il dit. Il s’en rend pas compte qu’il le touche. A ce point. Oué, jusqu’à ce qu’il l’entende. Jusqu’à ce qu’il lui dise. En quelque sorte. Il se sent con. Mais, y a son cœur qui bat vite, encore plus que quand il dessine. C’est bizarre. Ce moment. C’est bizarre mais agréable. Le silence à deux. La nature à deux. C’est à la fois beau et terrorisant. Pourtant, il reste là. Les pieds dans l’eau. Il reste là à le fixer, regarder la nature et l’écouter. Lui et ses mots. Des mots qui lui semblent cacher bien des choses. Douleurs. Malheurs. Il en sait rien Niels, il le connait pas. Mais, en tout cas, il le sent. Ces choses cachées. Mais, bizarrement, en cet instant. Il n’y a pas tant de douleurs. En cet instant. Il est beau. Le garçon. Un sourire aux lèvres.

Oui.
Le voir.
Le regarder.
Le dessiner.

Il pourrait presque le crier. Il pourrait presque. Mais, ce n’est pas l’instant. Pas le moment. Doucement, il sursaute. Le regard lointain retourné vers le garçon. Neo. Il le fixe. Étonné. Perdu. Neo. C’est à la fois beau. C’est à la fois magique. Il a envie de lui sourire. Mais, Niels, il sait pas bien faire. Alors, il fait comme d’habitude, de ce mi-sourire, mi-grimace. On est plein. A cacher des douleurs. Et il ne peut s’empêcher. De fixer la main. Il ne peut s’empêcher de fixer les doigts. Le fusain, il s’en fiche. Le noir, ça n’a pas d’importance. Y a que cette main. Doigts graciles et longs. Il a envie de l’attraper. Il a envie de la regarder. Encore un peu. Encore plus.

Et, y a cette pulsion.
Et, y a cette folie.

Ses doigts accrochent les autres, plus blancs. Ses doigts accrochent les autres. Pour les serrer entre les siens. Pour lui sourire, au travers son regard. Il le fixe, le détaille. Les doigts s'approchent un peu de ses yeux. Il joue avec, les tournent et retournent. Un peu ailleurs, un peu en transe. Y a plus de paroles. Plus de son. Juste le silence. Juste le soleil. Qui éclaire ces deux mains entrelacées. Qui éclaire ces deux hommes côte à côte. Il a envie de lui dire. Envie de lui avouer. Que depuis qu'il l'a regardé il a envie. De lui. Envie. De le croquer. De le dessiner. Oui, il a envie. De lui. De le croquer.

Et, dans un souffle de vent. Dans un sifflement naturel, il laisse échapper cette chose. Il laisse échapper cette envie. Folie. « Je peux te croquer ? »

Croquer.
Lui.
Dessiner.
Lui.

Tu t’es laissé emporter, envouter. Par ses paroles qui s’envolent. A tel point que tu t’es laissé dévorer. Tu t’es même approché, à quelque centimètres, mais sans te permettre de craquer. Même si il a ce petit truc qui t’attire, qui tire. Un truc qui encourage, mais seulement un mirage. Tu le connais pas, tu sais pas. Tu sais rien, tout ça ne tient peut-être à rien. Pourtant lui à osé, t’attraper, t’enchaîner. Une main, deux mains et voilà que la distance n’est rien. Il est plus là devant, juste au bout de tes doigts. C’est étrange et pourtant rien ne dérange. Comme si c’était pas nouveau. Pourtant Neo c’est pas ça. Pourtant c’est pas toi. Mais tu t’y accroche à ces doigts. Et l’espace d’un instant à plus rien autour, juste cette main.T’avais pas l’intention de la lâcher, pourtant t’arrive à t’en décrocher. Parce que sa voix viens déchirer le silence, comme un coup de lance. T’es déstabilisé, un peu perturbé. Tu vois pas où il veut en venir et tu te préserve, tu te réserve. « Pardon ? » Tu baisse les yeux sur son carnet, légèrement gêné. T’essaye de te sauver, de t’échapper. Tu cherche une raison, une réponse. Comme si ça pouvait être ailleurs que dans ses yeux. Puis tu comprends, c’est presque comme un soulagement. Plus concentré tu t’es laissé emporter par tes pensés. Ailleurs, t’as osé imaginer autre chose, comme si il pouvait en être autrement, puis tu comprends. Croquer c’est dessiner. Ce qu’il veut c’est ton portrait sur du papier « Ho… Euh oui si tu veux » Tu ris nerveusement, comme si c’était plus rassurant. C’est flatteur, rien de quoi avoir peur. Tu passe une main dans tes cheveux, d’accord pour lui donner tout ce qu’il veut. « Je reste comme ça ? » Tu demande, sagement, docilement.

Il s’était pas rendu compte. De ses paroles. Il s’était pas rendu compte jusqu’à sentir la main fuir. Jusqu’à entendre les paroles étonnées. Mais, qu’avait-il dit ?! Gâcher. Tout gâcher. Comme d’habitude. Faire peur. Faire fuir. Comme d’habitude. Il a envie de sauter. Se noyer. Pour ne pas le voir. Le regard de Neo, dégouté. Oui, il veut pas. Regarder. Il veut pas. Et pourtant, il le fait. Du coin de l’œil. Il glisse son regard sur le garçon. Il le voit perdu. Etonné. Il le voit comprendre. Et soudainement, son cœur s’emballe. Son cœur qui fait boum boum, soudainement trop vite. Non. Il venait de dire oui ? Il comprend pas Niels. Il le regarde un peu perdu. Il voulait bien ?

Soudainement, un sourire.
Un vrai.
Soudainement, un rire.
Un vrai.

Il a envie de se lever, le serrer contre lui. Pour lui dire merci. Mais, il se contente de le fixer. L’écouter. Comment pouvait-il se mettre ? Il réfléchit. Et, finalement, il sait déjà. Il savait déjà lorsqu’il l’avait vu pour la première fois. « Reste-toi. Mets-toi comme tu veux. » Oui, c’était cela qu’il voulait de lui. Lui tout entier. Lui sans fioriture. Sans mensonge. Il voulait le capter. Le croquer. Tout entier. Ses défauts, ses qualités. Ses sourires, ses démons. Il voulait tout. Il voulait… Doucement, ses doigts s’approchent à nouveau de lui. Doucement, ils glissent le long de sa joue. Envie subite. Il sait pas pourquoi. Il s’en fout. Mais, il ne fait pas durer le toucher. Parce qu’il va lui faire peur. Enfin, c’est ce qu’il pense, ce qu’il ressent. Alors. Il s’éloigne à nouveau. Sortant ses pieds de l’eau, s’installant en tailleur.

Une nouvelle page de son carnet.
Une nouvelle page blanche.
Pour y dessiner l’immaculée beauté.

Neo.

Ta réponse à l’air de choquer autant que la question posée. Oui t’as accepté, parce que ça va rien te coûter. Que tu veux bien t’offrir, le laisser te découvrir. Puis tu vois ce sourire. Puis entend ce rire. Son sourire, son rire. Du vrai, pas du maladroit. Une chose pour la quelle ça vaut bien d’accepter. Pour la quelle ça vaut bien de se plier. Puis t’es curieux de te voir à travers ses yeux. Curieux de savoir comment il t’envisage, comment se dessine ton visage. S’il ne fait que recopier ou s’il voit la vérité. Comment tu es, sous tes traits. Derrière ce masque, s’il voit ce qu’il s’y cache. Alors tu reste toi-même comme il le dit. Juste toi Neo, le néant. Tu veux voir si c’est possible de percer tous tes secrets. Même pour quelqu’un comme lui qui te connais pas, qui sait rien de toi, juste ce qu’il voit. Alors tu te laisse aller, pour te laisser « croquer ». Tu te mets alaise pour tenir la pose. Tu te détend, confiant et y’a ces doigts qui viennent. Cette ses doigts qui surprennent. Sur ta joue, doucement contre toi. Toujours tu souris, comme pour dire merci. Merci d’être là, de me sortir de tout ça. De me faire quitter l’ennui, de me faire quitter l’oubli. Presque tu voudrais t’y abandonner, ne jamais y renoncer. Parce que c’est bon, comme une caresse qui vient chatouiller l’espoir. Qui vient redonner du courage et chasser tous les nuages. Mais ça dure pas, comme à chaque fois. Il s’envole, ça dégringole. Alors tu t’accroche à son image, à son visage, qui s’applique. Sur le papier, tout apparaît. T’ose même pas parler, pour le troubler. Juste un soupire, dans un sourire, parce que t’es bien et que rien pourrait venir te troubler. Plus rien, plus jamais. Tu préfère le regarder et rêver.

Il le fixe. Le regarde.
Trop de sentiments.
Boum, boum.

Il a comme l'impression d'étouffer. L'impression d'être ailleurs. De manquer d'air. Et pourtant non. Il est là, en pleine nature. Nature vivante. Nature morte. Il le fixe, le détaille. Laissant ses doigts glisser, laissant le fusain le créer. Recréer. Niels, il est parti. Ailleurs. Seul, dans un monde où il est maître. Seul dans son monde à lui. Il est un peu comme en transe. Le regard brulant, perçant. Allant chercher plus loin. Loin en lui. Loin pour le voir. Le regarder. Niels, il voit la beauté là où elle n'est pas forcément. Niels, il voit pas comme les autres. Il a ce regard particulier. Qui vous sonde. Qui vous dénude. Oui, Niels, il voit des choses spéciales.

Et il les dessine.
Et il les croque.

Comme jamais.
Comme seul lui le fait.

Traits noirs sur fond blanc. La beauté de Neo, immaculée blancheur. Immaculée froideur. Se dessine. Les traits allant, vites, très vites. Alors qu’il le dévore. Vite, très vite. Il aime ce qu’il voit. Il imagine d’autre chose. Il l’imagine ailleurs. Mais, ça. Ce sera pour un autre jour. Là, maintenant. Il se contente de lui. Naturel. Souriant. Lui et son bonheur. Lui et ses démons.

Et le temps passe. Combien ? Il sait pas. Il sait juste qu’à un moment. Alors que le silence s’éternise. Doux et calme. Il le lâche. Le fusain. Lui. Ses yeux se posant sur le dessin. Il le fixe. Le regarde. Et, sourit un peu. Trop vite. Trop bref. Il est content de lui. Neo. Il est là. Choquant. Brulant. Il a réussi. Il l’a fait comme il voulait. Brulant. Choquant. Neo. Comme il est lui.

Le temps passe. Le temps se décroche. Plus un bruit, juste lui. Juste le son d’un dialogue frénétique entre le fusain et le papier. Juste ça pour encore vous lier. T’as le temps de t’envoler de nouveau. De retourner rêver, sous ses yeux. Sous les cieux. T’as le temps de l’observer, de le voir s’activer, s’exprimer. En silence, loin dans sa transe. Si loin et pourtant juste là, tout près de toi. Lui l’inconnu, rencontre incongru. Lui qui te fait presque te sentir vivant. De nouveau, un truc que t’avais pas ressentis depuis longtemps. Et le temps passe, file, sans s’arrêter, sans t’ennuyer. Tu voudrais presque que ça puisse durer une éternité, ne jamais retourner à la réalité, ne jamais retrouver qui tu es. Bénissant le silence, chérissant sa présence. Seulement ce bruit du fusain sur le papier. Mais ça fini par s’arrêter. Tout ce relâche, tout s’achève, la trêve passe. Alors tu résister pas à l’envie de te découvrir, tracé sur ce papier. Tu vas à lui, tu te rapproche, presque tu t’accroche. C’est pas comme le matin quand tu te regarde dans le miroir. Tu te redécouvre. Marqué par le poids des années meurtrières et assassines. C’est plus vrai, plus puissant, plus vivant que jamais. Toi, rien que toi. Le masque mis à bas. « Comment tu fais ?» Tu reste émerveillé, un sourire magique incrusté. « C’est plus beau qu’en vrai » C’est pas faux, c’est juste beau. T’en est même vidé, lessivé, par tant de vérité. T’as presque la larme à l’oeil. T’aimerais comprendre comment il fait lui, pour voir tout ce que personne n’a jamais vu avant. Comment il fait lui, pour te rendre aussi vivant.

C'était fini.
Le fusain reposait maintenant sans vie entre ses doigts. Le dessin était fini. Là. Le visage. L'expression de Neo. Lui. Rien que lui. Brulant. Choquant. Il le fixait. Encore et encore. Il était content. Il était heureux. De l'avoir rencontré. De l'avoir croisé. Vu. Oui, parce que sinon. Jamais. Oh non. Jamais, il n'aurait fait une chose comme celle-ci. Une vraie beauté. Il en avait presque envie d'en faire une peinture. Encore plus de puissance que le fusain. Encore plus de force sur une toile. Doucement, un fin sourire. Doucement, un corps qui s'approche. Trop. Trop proche. Trop chaud. Mais, Niels, il dit rien. Parce que cette présence, il ne la repousse pas. Non. Il voudrait même le tirer. A lui. Contre lui. Folie. Envie.

Il se tourne un peu. Pour le regarder lui. Vivant. Si beau. Et, il voit son visage. Ses sentiments. Il le voit et il aimerait à nouveau. Le croquer. Mais, pour l'instant. Il attend juste. Une réaction. Une question. Une parole. Et, comme il le sent, elles ne tardent pas à venir. Mais, il sait pas. Quoi répondre. Il sait pas. Comment il fait. Il voit et puis c'est tout. Il voit et capture. Il voit et aime. Il voit et souffre. Doucement, ses doigts apposent une dernière touche au dessin. Sa signature. Fixant le dessin. Plus beau qu'en vrai ? Non. Il avait tort. Doucement, encore une fois. Ses doigts noircis de fusain, il attrape ceux immaculés du garçon. Pour les serrer entre les siens. Pour lui donner de la confiance ? De la force ? Il en sait rien. Et puis, ce serait con. Parce qu'il n'en a pas. Lui. « Moi je trouve que le vrai. Il est encore plus beau. »

Soufflé. Murmuré. Niels. Il sait pas ce qu’il lui prend. Mais, il veut pas lâcher. Jamais. Parce qu’il pense avoir trouvé. L’avoir trouvé. Sa muse. Cette chose qui l’inspire. Lui fait battre le cœur trop fort. Il avait cherché. Tant cherché. Sans jamais trouver. Et là. Au bord de l’eau, entouré d’arbre. Il avait vu son éclat et l’avait capté. Ses doigts se resserrent contre ceux de Neo. Non. Il voulait pas lâcher. Non. Jamais.

T’es émerveillé, subjugué. Comme un gamin qui découvre la vie. Comme si on venait de t’ouvrir les yeux. Parce que lui il t’a ouvert les siens. Parce que lui il te l’a redonné cette vie. Celle qu’on t’a volé, enchainé, que t’as jamais retrouvé. Celle qui t’a aveuglé depuis tant d’années. Ça va mieux, un doux sentiment merveilleux vient t’envahir, t’assaillir. T’es juste bien, là avec lui, là contre lui. Même si tu le connais pas, même si il à l’air d’en savoir beaucoup sur toi grâce à ce qu’il voit et dessine avec ses doigts. Ses doigts qui viennent encore se mêler aux tiens. T’as pas peur, t’as plus peur. Tu te laisse apprivoiser, parce que t’es rassuré. Puis y’a ses paroles qui s’envolent. Le doute avec elles, l’inconnu avec elles. T’es gêné, tu sais pas où regarder. Ton coeur s’emballe et ça fait mal. Mal, parce que tu le connais pas et pourtant tu veux rester là, accroché à ses doigts. A tout jamais, pas t’en séparer. Mal, parce que tu fond comme neige au soleil sous son regard, à côté de son corps si proche. Mal, parce que t’es tiraillé, par un truc soudain et malsain. T’as aucun mots pour lui dire merci. Aucun langage assez concis. Juste un truc là, qui brûle au fond de toi, au bout des lèvres. Ouais c’est ça, un baiser sans idée, une pulsion sans illusion. Alors tu te lance, sans plus te soucier du reste. Juste un baiser, comme ça sans regarder où ça va te mener. Juste parce que l’adrénaline t’enflamme et que tu à besoin de ses lèvres pour l’apaiser. Parce qu’à ce moment précis, c’est encore la seule choses qu’il te reste pour lui dire merci. Un baiser gourmand, quelque chose de simple, mais puissant. Un baiser volé, sans autorisation, sans question. Justement, volé, alors faut y renoncer. Même si ça fait encore plus mal que tout le reste. « Je.. euh je suis désolé » Tu te rétracte, doucement tu récupère ta main. Tu t’en veux, d’avoir craquer, de peut-être l’avoir forcé. T’es gêné, tu sais plus où regarder. T’aimerais juste filer et aller te cacher.

Il serre la main. Fort. Contre lui. Entre ses doigts. Il serre la main. Fort. Parce qu'il veut pas le laisser partir. Parce qu'il ne le lâchera plus. Non. Jamais.

Il se rend pas compte de ce que ses mots ont déclenché. Il se rend pas compte parce qu'il le regarde lui, le dessin, lui, le vrai. Il le regarde et voit pas forcément ce qu'il y a la dernière. Dans ce cœur qui s'est mit à battre la chamade. Non, Niels, il sait pas. Alors, il comprend pas forcément. Il se rend pas forcément compte. Lorsque deux lèvres roses se posent contre les siennes. Il comprend pas. Il ouvre de grands yeux. Le cœur qui s'arrête. Le cœur qui cesse tout. Avant de repartir. Trop vite. Trop fort. Niels, il a l'impression de voler. L'impression de se noyer. Impossible.

Mais, tout s’arrête trop vite.
Et le froid.
Qui s’insinue.
Qui glace.

Il veut pas non. Pourquoi s'éloigne-t-il ? Pourquoi ? Il veut reprendre sa main. Il veut le retenir près de lui. Trop. Et il comprend pas. Le pardon. Et il comprend pas, jusqu'à ce que la réalité lui saute au visage. Deux illustres inconnus. Un baiser. Un dessin. Oui, c'est bizarre. Oui. Mais, et alors ? Niels, il s'en fout. Niels, il se pose plus de question. Trop ont déjà été posé. Oui, il s'en fout. Alors, rapidement. Sans un mot, il lui reprend la main. Le fixant. Les yeux qui détaillent. Les yeux qui avalent, croquent. Il veut pas le laisser partir. Jamais. Parce qu'il l'a trouvé. Enfin. Sa muse. Alors, jamais. Jamais. « Ne t'excuse pas. » Il murmure doucement. Il se sent con. Il a pas l'habitude de ça. Parce que c'était si fin. Si doux. Jamais. Jamais ça n'avait été comme ça. Lui dans ses mains. Lui sous ses mains. Dessin, humain.

Il est surement moins timide. Surement moins perdu. Alors, il s'approche. Doucement, son visage près du sien. Ses lèvres près des siennes. Sa deuxième main qui glisse sur sa joue, son menton. Il lui sourit avec les yeux. Il lui sourit avec les lèvres. Parce qu'avec lui. C'est pas pareil. Non, c'est différent.

Différent.

Et, il fait comme Neo.
Et, ses lèvres vont sur les siennes.
Et, ses lèvres embrassent doucement.
Et, il aime ça.

Le cœur qui bat fort. A s'en rompre. Le souffle qui va fort. A s'étouffer. Niels il comprend pas. Mais, il est surement moins timide. Surement moins perdu.

Les lèvres se séparent. Chastes. Les lèvres encore proches. Niels, il fixe Neo. Niels il lui sourit. « Ce n'est rien tu sais. » Parce qu'il veut pas qu'il fuit. Parce qu'il veut lui faire comprendre que lui aussi. Il a tout ça qui tourne dans son ventre, dans son cœur.

Il ne le lâchera plus.
Jamais.

Ne pas s’excuser ? Pourquoi ? C’est pas ça qu’on fait quand on a mal agis ? Quand on est égoïste ? Qu’on se sent si bien qu’on se croit au dessus de tout et qu’on veux tout ? Et pourquoi ? Et pour qui ? Non Neo, t’as pas le droit. T’es pas de ceux-là. Toi tu peux pas succomber, t’es pas autorisé. Tu peux pas t’attacher, tu peux pas envisager. A chaque fois c’est pareil. Tu la vois la lumière au bout du tunnel. Douce et pure. Chatoyante et brûlante. Puis elle devient froide, néfaste, arrogante et méchante. Elle blesse et délaisse. Elle abandonne, même si toi tu pardonne. Alors oui tu t’excuse, pour toutes les fois où tu n’as pas pu. T’avais pas le droit, parce que tu sais même où tout ça va mener. Si tu vas le recroiser. Pourtant. Pourtant tu t’y es jeté. Parce que t’avais envie d’aimer, même si ce n’est que éphémère. Le temps d’une journée, gravée à tout jamais. Un caprice puissant et vivant. Destructeur et ravageur. Parce que des fois c’est bon de faire abstraction. C’est bon de ne se soucier de rien. C’est bon de ne pas songer à demain et de s’accrocher à une main. C’est bon oui, mais tellement con.

Oui tu te sens con. Alors tu te range, pour oublier et ne pas avoir à te justifier. Mais Niels il demande rien. Niels il comprends. Niels il est pas si différent de toi finalement. Et doucement ça recommence, comme une merveilleuse danse. Tu veux même pas résister, seulement en profiter. Comme une caresse, qui rempli d’allégresse. Plus de pouls, plus de souffle. Tu le laisse t’avaler, te ravager, te posséder. Tu te laisse emporter, dans la marée qu’il à créé, dans ton coeur, dans ton corps. Marée de feu qui vient tout dévorer, tout embraser. Parce que c’est différent, plus puissant. Pas aussi timide, pas aussi aride. Pas comme quand tu le fais, pas comme quand toi tu te laisse aller. C’est simplement plus plaisant, plus vivant.

Puis tout s’écroule, tout dégringole, tout déboule. Presque tremblant, tu dois quand même y renoncer, et faire semblant. Semblant que ce n’est rien. Pourtant, pour toi, c’est tout. Tout ce dont tu pouvais rêver. Tout ce que tu voulais. Connaître, reconnaître. Ces saveurs oubliés, qu’on ne connaît que lorsqu’on a aimé. Jusqu’au jour où quelqu’un décide de nous les arracher. Parce que oui, t’as oublié. Tu sais plus ce que ça fait. Mais lui il les redessine. A l’encre de chine. Pour qu’elles ne s’envolent jamais plus. Pour ne jamais être perdu. « Rien… » Un murmure, pour toi même. Tu souris bêtement, comme pour te rassurer, te persuader. Puis dans ta tête tout s’éclair, t’as besoin de te sauver, de filer comme l’éclair. Pas par sa faute, il a fait aucune fausse note. T’as juste besoin d’y renoncer, de retourner à la réalité. Juste un dernier regard, plein d’espoir. « Je dois y aller… Merci. » Tu dis ça en te relevant, en te défilant. Tu veux pas lui laisser le temps de te retenir, de te faire hésiter à partir. Parce qu’il faut pas, parce que tu veux pas. Alors tu retrouve la force de te bouger, de te sauver. Et tu cours, comme si c’était le seul moyen de survivre. Tu cours, comme si c’était ta dernière journée à vivre.  Tu cours Neo, parce que pour la première fois depuis longtemps t’es heureux. Heureux à en rejoindre les cieux. Tu te sens pousser des ailles. Merveilleuses et chaleureuse. Pour te porter. Pour s’envoler.  

Il est là. Le regard perdu.
Il est là. A le fixer, lui. Sur la feuille.

Il a pas compris. Ce qu'il s'est passé. Il a pas compris. Ça allait. Et soudainement. Tout n'allait plus. Il est parti. Il est parti et il a pas eu le temps de le rattraper. Pas eu le temps de réagir. Il a envie de hurler, Niels. Envie de crier. Pourquoi ? Pourquoi fuir comme ça ? Quoi fuir ainsi ? Il sait pas. Mais, il est perdu. Là, au bord de l'eau. Là alors que le goût de ses lèvres envahit encore les siennes. Douces et un peu froides. Lui, sa beauté immaculée. Lui et ses multiples cauchemars.

Doucement, il sort de sa transe. Doucement, il se réveille, le regard moins perdu. Il tient tout contre lui le dessin de Neo. Et se relève. Il ne peut rien faire. Juste imaginer le revoir. L'oiseau envolé. Il ne peut rien faire. Sauf regretter. Ne pas oublier.

Cette journée si spéciale.
Cette journée si belle.

Niels. Il a mal.
Mais, il va continuer.
D'avancer.
De voler.